L'amendement d'un texte juridique trois mois seulement après sa promulgation peut paraître étonnante et l'est réellement. Mais, l'explication donnée par Monsieur B. Oueslati dans la page 1 du journal La presse du samedi 13 août sur l'amendement du code électoral est fausse, voire tendancieuse. Les précisons suivantes doivent être données : 1) Le décret-loi sur l'élection de l'Assemblée constituante a été préparé durant le mois de mars 2011 dans l'urgence. Urgence de respecter l'échéance du 24 juillet. Pour toutes les questions matérielles de l'opération électorale, le comité des experts a établi un compte à rebours à partir du 24 juillet, afin de permettre aux différentes parties prenantes (Haute Instance indépendante, commissions régionales indépendantes, tribunaux judicaires, tribunal administratif…) de respecter un chronogramme où chaque jour est compté, et c'est pour cette raison que certains délais ont été abrégés pour sauver la date du 24 juillet. 2) Il en résulte que le décret-loi, paru au mois de mai 2011, prévoit des procédures sommaires et des délais de recours très courts (recours en matière d'inscription sur les listes électorales, et de candidatures) pour tenir compte de l'échéance du 24 juillet. Ceci explique que lorsque la date du scrutin a été reportée au 23 octobre 2011, ces délais et procédures sont apparus quelque peu inadéquats. La plupart des modifications à ce décret-loi portent précisément sur ces questions : articles 29, 47, 55,72 notamment. 3) Le décret-loi a été le fruit d'un consensus, et qui dit consensus admet l'idée du compromis et de la perfectibilité concernant plusieurs points qui ont soulevé un vrai débat pour la première fois en Tunisie, tels que : la question de la parité, de la représentation des Tunisiens à l'étranger, du mode de scrutin, de l'article 15 (entre autres), de l'administration des élections, des infractions électorales… Dire par la suite à la «une» d'un grand journal que «le texte n'a pas été bien préparé et que nos parlementaires autoproclamés de l'Instance supérieure de la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique avaient une fixation sur un seul article, le fameux article 15, sur les 80 que contient le code», semble abusif, d'autant plus que l'Instance a agi dans le cadre de sa mission prévue par le décret-loi portant sa création, et bien que les débats aient été houleux sur plusieurs points, le consensus a démontré que le baptême du feu de la démocratie en Tunisie a été réussi. 4) Le décret-loi a été préparé alors que seulement une trentaine de partis ont été créés, la modification de l'article 55 paragraphe 2 tient compte du nombre actuel (plus d'une centaine), des listes dont celles des partis en vue de rationaliser leur présence ainsi que celle des observateurs dans les bureaux de vote le jour du scrutin 5) Pour ce qui est du vote des Tunisiens de l'étranger, le comité d'experts a relevé un grand défi en consacrant l'idée du plein droit électoral (vote et candidature de nos compatriotes à l'étranger), et ce, pour la première fois en Tunisie. Plusieurs pays, dont beaucoup appartiennent au monde développé, ont simplement écarté cette possibilité très difficile à gérer. La question a été longuement débattue, et sous la pression de la date butoir du 24 juillet, le comité d'experts a proposé une solution bien connue par les juristes et notamment les administrativistes qui consiste à monter un cadre dérogatoire par décret, pour permettre quelques ajustements aux règles générales prévues par le décret-loi n°35. L'article 31 in fine disposait que «l'Assemblée nationale constituante est composée de membres représentant les tunisiens à l'étranger. La modalité de leur représentation sera fixée par décret». Mais vu que la nouvelle date du 23 octobre a permis la possibilité de revoir les questions de délais et des procédures, il était plus judicieux de clarifier la question par une disposition express. 6) Le texte du décret-loi est loin d'être parfait, le comité des experts était conscient que des difficultés apparaîtront lors de son application, d'autant que les membres du comité ni d'ailleurs les journalistes, ni même la population dans son ensemble, n'ont pas beaucoup d'expérience en matière électorale. Plusieurs éléments peuvent encore mieux être perfectionnés et c'est pour cette raison que les législations relatives aux élections subissent partout dans le monde des modifications sur la base du recul post-électoral et de la jurisprudence des tribunaux dont la mission est précisément d'enrichir les textes et de combler leurs lacunes. Cela étant, le décret-loi, tel qu'approuvé et avec toutes ses limites et imperfections, a été considéré par la plupart des observateurs nationaux et internationaux comme un bon texte qui a apporté de nouvelles solutions à la question de la transition démocratique. D'ailleurs, votre journal a publié récemment un compte rendu sur un séminaire international organisé par le Pnud en Roumanie où les solutions consacrées par la Tunisie ont été saluées. Le comité des experts est ouvert à toutes les critiques constructives. Par contre, les jugements hâtifs, non fondés et injustes parus à la «une» de La Presse sont regrettables. De toutes les manières, l'important pour nous n'est point la sacralité d'un texte juridique, mais la réussite de la transition vers la démocratie. Farhat HORCHANI Chafik SARSAR Hafida CHEKIR (Membres du comité des experts de la sous-commission de la loi électorale de l'Instance supérieure de la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique) Ndlr : Les précisions des membres du comité des experts de la sous-commission de la loi électorale de l'Instance supérieure de la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique confirment ce que nous avons écrit dans notre édition du 13 août à propos de l'amendement du Code électoral et par conséquent l'explication que nous avons donnée n'est ni fausse, ni tendancieuse. Jugez en: Les membres du comité reconnaissent que l'amendement d'un texte juridique trois mois seulement après sa promulgation «peut paraître étonnant et il l'est réellement». Mieux encore, ils disent qu'il a été «préparé dans l'urgence». Et là on s'étonne de constater qu'un texte d'une telle importance qui va servir à l'organisation des premières élections libres de la Tunisie et assurer la transition vers la démocratie ait été préparé dans la précipitation. Une loi est faite pour durer le plus longtemps possible et même si les experts ont omis, par mégarde ou par «manque d'expérience», et ce sont eux qui le reconnaissent, certains détails, «les parlementaires» auraient dû être plus vigilants. Une loi électorale ne doit pas prévoir des procédures sommaires, mais apporter le plus de précisions possibles pour éviter toute interprétation «tendancieuse ou fausse».