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Mélange de genres et clameurs de la transition
Opinions
Publié dans La Presse de Tunisie le 19 - 08 - 2011


Par Kmar BENDANA
A observer le mental et l'imaginaire «post-révolutionnaires» en Tunisie, la justice et la vérité apparaissent comme deux ordres ébranlés. Depuis le 14 janvier, tout le monde réclame son droit à l'information, chacun veut tout savoir. Après l'apathie, la curiosité des Tunisiens se débride. On court derrière la comptabilité des fortunes amassées par les Ben Ali et les Trabelsi, on aligne ouvertement les noms de leurs amis, on reconstitue les arbres de leurs alliances, on suit le sort de leurs biens, on s'informe sur leurs allers et venues dans le pays et à l'étranger, on vérifie les adresses des fuyards, on échange les détails de leur train de vie avant et après la Révolution. Un immense sujet de conversation est né dans les foyers, dans les cafés, dans les bureaux, dans les boutiques, dans les marchés comme dans les réseaux sociaux, un méga-thème éditorial et médiatique a fait irruption. Le silence réservé qui avait couvert l'hégémonie mafieuse s'est transformé en feuilleton national sur le mal, en paroles, en chiffres et en images. Des millions de Tunisiens partagent une série d'histoires sur les vices du pouvoir, des récits sur les injustices et les victimes, des versions sur les abus. L'opinion fait feu de tout bois, additionne et croise les sources : des souvenirs comme des témoignages, des livres jusque-là interdits, des articles au ton plus libre, des commentaires et des vidéos sur Internet alimentent la chronique de l'instruction judiciaire des familles déchues. Chacun y va de ses bribes et les tresse avec les innombrables anecdotes qui fleurissent. Le pouvoir de l'image et de l'instantanéité aidant, le ciment des médias de tout acabit englobe le tout, lisse le récit. Le concert des rumeurs joue sur les harmoniques de la crédibilité ; bulles et buzz gonflent et dégonflent au gré des répliques, des contre-attaques ou du simple effet d'extinction, chaque infox étant suivie par une multitude d'autres. Des nouvelles plus ou moins inédites circulent, des films et des photos ressortent, comme si des détenteurs avisés, conscients de cette réceptivité, veillaient à distiller de quoi entretenir la braise.
La sécrétion de l'opacité
Dans la chaîne d'allumage de l'opinion, les procès arrivent lentement sur la scène médiatique et bousculent à leur tour les habitudes des Tunisiens, leur attitude face au secret, leurs attentes face à l'information, réveillant leur désir de justice. La justice tunisienne a des traditions de formation et de fonctionnement, reflet et résultat d'une histoire liée aux besoins de la société et aux impératifs du pouvoir politique. L'université tunisienne comprend cinq facultés de droit dont les recrues en hausse sont disséminées dans le tissu administratif, économique et politique du pays. Le régime de Ben Ali s'est consolidé entre autres en enfourchant un système qui lui a fourni des outils de spoliation, lui a donné des mécanismes d'exclusion et a armé sa domination par des dispositifs appropriés. Dans son évolution récente, le système juridique tunisien, réputé pour son dynamisme et ses compétences, y compris sur le plan international, a également sécrété des scribes aux ordres, des textes sur mesure, des sièges fantoches et des institutions complaisantes. A l'instar d'autres secteurs, il s'est imprégné de pratiques d'autant plus opaques qu'elles sont enfouies dans la technicité du droit, dans les subtilités de chaque métier, dans les rapports de force entre les différents rôles de la sphère juridique. La toile d'araignée du pouvoir, de l'administration et des intérêts économiques a tissé des procédures, construit des barrières, fondé des légitimités, monté un appareil solide et structuré autour de 1.800 juges, 8.000 avocats, sans compter les huissiers de justice, les greffiers, les notaires, les experts-comptables, etc. Le paysage que dessinent ces différentes professions est loin d'être homogène; il repose sur des collusions classiques, se recompose autour de rivalités d'intérêts, de corporatismes en éveil et de conflits d'influence. Dans ce monde qui s'apparente à un clergé séculier, on devine des connivences matérielles, des coalitions naturelles et des complicités de formation et de condition qui font la solidité de l'échafaudage. Les inimitiés politiques apparues dernièrement secouent l'équilibre de l'édifice car, à côté des différences d'implication dans le processus révolutionnaire, elles expriment également des antagonismes corporatistes.
En cette période de tous les apprentissages, l'opinion s'ouvre sur les contradictions de cet univers juridique par le biais des luttes intestines qui le traversent comme elle redécouvre les «affaires judiciaires». Le genre avait fleuri dans la presse coloniale; un des exemples les plus célèbres est le fameux procès infligé à Abdelaziz Thaâlbi pour blasphème en 1904 et la polémique qui s'en est suivie. Le procès de Jarjar, Gtari et autres acteurs des événements du Jellaz de 1911 avait donné lieu à une abondante couverture de presse, des chansons, une littérature de prison. Après l'indépendance, les lecteurs de La Presse de Tunisie se souviennent de la chronique de Ammar Dakhlaoui concernant les échos des tribunaux. Cette fenêtre sur la vie judiciaire a par la suite dévié vers les rubriques de faits divers tandis que l'ensemble de la presse s'enlisait progressivement dans la langue de bois et le phrasé convenu qui ont fini par devenir une marque de fabrique, droit sortie de l'officine du Palais de Carthage.
Panique dans la machine judiciaire
Le déferlement d'opinions autour des premiers procès de cette transition révèle l'impréparation de la justice, son manque d'aptitude à informer et parfois une certaine niaiserie. C'est, une fois de plus, les médias qui portent la tempête. La médiatisation des premières «affaires judiciaires» a concerné Ben Ali et les familles alliées. Une liste de 114 noms est rapidement établie et les procès qui ont lieu à partir de juin sont accueillis comme des parades, des mises en scène. On crie à la parodie, des victimes attendent d'autres incriminations, l'opinion réclame d'autres vérités. Entre-temps, la juridicisation de la vie politique déjà entamée sous Ben Ali mais au service exclusif du pouvoir, se généralise au cours de cette transition, touchant les gouvernants, la société civile, les anciens responsables, les nouveaux acteurs. Une bataille de procès est déclenchée pour contester la formation ou les décisions des commissions, contre des propos et actes symboliques de personnalités en vue. L'activité judiciaire gonflée par les événements s'accroît de jour en jour et rejoint l'avant-scène politico-médiatique. Les secousses se multiplient sous forme de polémiques qui mettent en cause les décisions de relaxe, de sortie illégale du territoire, de non-lieu dans certaines affaires. Avec les accusations d'avocats, ces remous ébranlent une machine judiciaire hyper-sollicitée qui comparaît à son tour devant le ban de l'opinion. La communication autour des plaintes, les interprétations des verdicts expriment le remue-ménage qui agite un pouvoir judiciaire jusque-là surprotégé par le secret, un pouvoir médiatique longtemps interdit d'enquêter et la rigidité de la bureaucratie qui tenait l'un et l'autre. Les pressions s'enchevêtrent, les commentaires font déborder l'opinion, faisant ainsi bouger les frontières entre ces différentes instances et déplaçant les bornes. Les juges communiquent dans la hâte des verdicts que les journalistes reprennent à leur manière, les avocats organisent des conférences de presse, le ministère fournit des explications, les magistrats crient à l'indépendance, les familles donnent leur version des faits via Facebook, sur les radios et les plateaux de télévision. On se bouscule dans l'immense prétoire qu'est devenue la scène médiatique, à défaut de voir les salles de tribunal aussi investies par les caméras et les micros qu'en Egypte. Le slogan de la transparence, plus que jamais brandi, couvre mal les mille et un désordres qui bouillonnent dans les coulisses.
Justice et médias sont des métiers de la parole et de la représentation, ils partagent des ingrédients communs, en appellent à des compétences similaires : techniques de l'enquête, art de l'argumentation, ficelles rhétoriques, procédés de l'attaque et de la défense. Mais chaque domaine a son périmètre d'action, son terrain d'efficience, son langage. Le recours irrationnel aux médias signe un des troubles de cette transition en train de se faire, où les conférences de presse d'avocats expriment le comble du mélange des genres et de la confusion des messages. Pourquoi des avocats sortent-ils des prétoires pour traiter des affaires, pour défendre un accusé, pour dénoncer des confrères ? Alors que le pays n'a pas reconstitué le récit du mal qui lui a été fait, un des réflexes d'affolement est de se poster dans le camp du bien, de se positionner parmi les bons : qu'on réclame une place, qu'on invoque l'indépendance ou qu'on clame son innocence, chacun cherche les formules et les canaux susceptibles de calmer une opinion ébranlée, déchaînée contre symboles et pratiques de l'ancien régime et qui n'a pas encore trouvé les siens.


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