• Michel Nebenzahl, l'homme de théâtre, auteur, acteur, psychologue et membre de l'ATU (Association de théâtre universitaire) en France, qui était parmi nous dernièrement pour participer au colloque «Le théâtre au cœur des changements et mutations vécus par le monde arabe», qui s'inscrit dans le cadre de la 15e édition du festival international du théâtre universitaire, organisé tout récemment à Monastir, a bien voulu nous livrer dans cet entretien son appréhension d'un théâtre post-révolution. Vous venez de participer à la 15e session du festival international du théâtre universitaire à Monastir. Quelle évaluation faites-vous de cette édition ? C'est une édition franchement réussie, parce qu'elle a permis de voir comment on peut favoriser l'épanouissement artistique de la jeunesse tunisienne et appréhender l'importance de l'apport d'un cursus culturel et toute formation professionnelle comme élément décisif pour la valorisation de la citoyenneté des jeunes. Quel est votre avis sur les deux pièces théâtrales proposées Le prix de la liberté et Black- out dans cette dernière édition du festival du théâtre universitaire ? Il est important de ne pas confondre théâtre universitaire et instituts d'art dramatique. Dans le théâtre universitaire, ce sont les étudiants de toutes les disciplines qui sont concernés par un travail pratique et intellectuel conforme aux exigences de l'université et qui dure parfois plus d'un an. Il convient de les entendre parler de la transformation profonde de leur comportement et de leur vision des choses après ce travail, pour commencer à comprendre dans quel sens constructif la révolution peut avancer. Quelles sont les orientations du nouveau théâtre arabe après les révolutions tunisienne et égyptienne ? La révolution tunisienne nous concerne tous. Elle ouvre non seulement un pont sur l'Europe, mais elle est également une question géopolitique. Car, c'est la jeunesse qui est capable de transformer les structures économiques, sociales et culturelles du monde actuel, à condition de lui donner une formation humaine plus complète que celle des systèmes éducatifs qui dominent le monde actuel. Ainsi, l'évolution du théâtre arabe concerne l'évolution de l'Islam tout entier. En effet, l'Islam a une richesse particulière à travers les détails de ses interdits. Les interdits, en effet, concernent tout l'éventail de la sensibilité à l'autre, aux autres, au travail comme à la vie quotidienne. C'est pourquoi, par exemple, l'émancipation prudente des femmes pourra apporter une nouvelle matière aux bases mêmes de l'écriture théâtrale, en l'occurrence du rapport au corps ou à la parole. Les révolutions arabes ne pourront pas ne pas tenir compte de cette dimension fondamentale dont on peut attendre non seulement une transformation des bases de la production sociale, mais aussi de la production artistique et cela va de l'artisanat jusqu'aux arts de la science et de l'audiovisuel. D'après vous, quelle est la mission d'un homme de théâtre, se réduit-elle à produire juste «l'art pour l'art», ou plutôt est-il appelé à changer le monde ? Il n'y a pas que la mission de l'homme de théâtre, il y a aussi la mission de la femme de théâtre. Leur première mission est de dégager toutes les dimensions de la sensibilité à travers la pratique de la scène, de cette scène qui n'est autre chose aujourd'hui que celle de la révolution actuelle. Il s'agit de reconquérir une «humanité», c'est-à-dire de donner tout son poids à la générosité, l'indulgence, l'hospitalité… qui sont les valeurs tunisiennes. Autrement dit, la seule citoyenneté et les seuls droits de l'homme ne suffisent plus à la Tunisie. Et peut-être que d'autres pays arabes aussi pourraient avoir la capacité de proposer un autre modèle culturel et social à l'échelle mondiale. Quelle relation a le théâtre avec le pouvoir et la politique ? Ce que la révolution apporte d'essentiel, c'est qu'elle met en avant un état zéro des choses. Il ne s'agit absolument plus de parler de théâtre tel qu'il a été, puisque désormais le théâtre est dans la société elle-même. Les artistes feraient bien de se taire et de se comporter en pédagogues. Aucune crainte à avoir pour le théâtre futur, puisque le théâtre c'est la société. Le théâtre sera ce que la société deviendra. La politique est le centre de cette question.