Ouverture portugaise à la 18e session de l'Octobre musical de Carthage avec Pedro Joia à la guitare, un public en nombre et attentionné et des morceaux savamment choisis. Pedro Joia, né à Lisbonne, pays du fado et de la saudade, des études au Conservatoire, une spécialisation en Espagne à Cordoue chez un maître de la guitare Manuelo Souldar, avant d'écumer les nombreux bars à fado de Lisbonne, apprend les genres, se nourrit de rythmes ; des concerts en Europe et départ à Rio de Janeiro où il s'imprègne d'autres musiques. Avec succès, il entame des tournées en Amérique latine, aux Etats-Unis, en Asie. A la veille de son concert à l'Acropolium, il était à Kuala Lumpur ; en 1999, il s'est produit au Festival méditerranéen de la guitare à Tunis. «Heureux», déclare t-il d'être de retour à Tunis. Naturellement, qui dit fado pense automatiquement à Amalia Rodriguez qui reste la figure qui incarne ce genre de chant portugais et ce n'est pas pour rien qu'elle est surnommée «la reine du fado», qu'elle a vulgarisé dans le monde. 60 ans de carrière, plus de 170 disques à son actif, bref une gloire. Autre image de la musique portugaise, Armandinho, un virtuose de la guitare bahianaise. Démarrage avec Joia qui affronte seul le public, présentant ses morceaux en français. Du fado, forcément, le genre musical propre à Lisbonne et à Porto, triste, nostalgique «fatalité ou destin», ainsi est défini approximativement le genre, soit une musique qui fend le cœur, spleen et nostalgie sont ses moteurs. La tête penchée sur sa guitare, baladant ses arpèges, graves ou aigus, il est dans son élément naturel. Il fait corps avec son instrument. Cinq pièces jouées, complaintes délicates, vague à l'âme, le public est tenu en apnée, plongé dans Lisbonne, cette ville décrite comme «une nostalgie endormie», dixit Dos Passos. La guitare de Joia est classique, nous dira-t-il, adaptée aux rythmes portugais, mais pas portugaise pour autant, ni de Coimbra (ville du nord connue pour une forme de guitare), un modèle unique, fabriqué spécialement pour lui, par un luthier lisboète. Joia a choisi des morceaux d'Armandinho, grande figure portugaise et guitariste virtuose, principalement interprète de fado, dans la salle, le public est habité par les rythmes. Il applaudit avec ferveur. Voyage en Argentine Changement de registre, notre invité nous embarque en Argentine, berceau du tango, il est passionné, adepte de Carlos Gardel (quel bon guitariste ne l'est pas?), un grand artiste qui a marqué la première moitié du XXe siècle, ses disciples sont légion. Surnommé «le Muet», jeu de mots pour définir sa belle voix, il est joué partout dans le monde. Joia connaît tout sur Gardel, sa vie, ses compositions et enregistre même, nous dit-il, un CD sur le musicien franco-argentin. Là, on voyage dans le temps, des morceaux connus, désarmants de tendresse, de mélancolie, le style devient un peu plus chantant, des têtes dandinent dans la salle. Le silence est épais. Retour après l'ovation, Joia est rayonnant, pour un bis, il joue le très connu «mouwachah» classique arabe, «Lamma bada yatathanna» à sa façon, harmonisé. Cela fait une heure et une poignée de minutes qu'il est seul face au public. Une révérence appuyée, demain il sera en concert en Europe, on continuera à écouter son CD, le sixième, l'âme immergée dans l'univers «intranquille» de Fernando Pessoa, l'âme de Lisbonne. Le voyage continue.