Par Foued ALLANI Zéro diplôme, des milliers d'idées et des milliards de dollars gagnés en toute légalité. Tous ça grâce à l'innovation et la créativité, celles-ci ont été encore une fois sous les projecteurs suite au décès mercredi dernier de Steve Jobs, co-fondateur d'Apple, la fameuse firme de matériel et de solutions informatiques célèbre dans le monde entier par son logo (une pomme croquée) et ses produits (Macintosh, iMac, OSX, iPod, iPad...) qui a été l'incarnation de ce mythe de la réussite. Au cours d'une carrière exceptionnelle, il a participé d'une manière décisive et irréversible à changer nos rapports quotidiens avec l'information et qui a maintenu le leadership américain dans ce domaine face à une concurrence infernale, japonaise, coréenne et chinoise dans ce domaine de pointe. La mort de Steve Jobs à 56 ans suite à un cancer, en plein essor de son entreprise a, elle aussi, secoué le monde tout comme ses innovations. Elle a suscité et suscite encore plusieurs enseignements car tout, au départ, jouait contre lui. Né d'une mère célibataire et d'un père d'origine syrienne, il a été adopté, par la suite, par une famille très modeste et sans diplômes. Ces parents adoptifs ont cependant tout fait pour qu'il s'inscrive après son Bac à une université et consentis de gros sacrifices dans ce sens. Mais les dépenses énormes et l'ennui ont fait que Steve abondonne ses études pour le monde des affaires. Avec son associé et dans le garage de ses parents, il fonde Apple, inaugurant ainsi la vague dite de «l'économie des garages» en référence à ces géants du business qui naissent minuscules dans de simples locaux qui manquent de tout et sans ressources sauf les idées, la volonté et la persévérance. Ainsi les légendes des temps modernes prennent forme car les débuts étaient plus qu'insignifiants, ridicules même, si ce n'était l'intervention de la bonne fée et sa baguette magique. C'est-à-dire l'intelligence, le flair et le rêve éveillé. Mais Jobs avait d'autres atouts à côté de ceux déjà cités. C'était un homme qui osait, qui se tuait au travail, et qui faisait preuve d'un perfectionnisme que certains de ses équipiers qualifiaient sans hésiter de maniaque. C'était grâce à cette qualité-défaut qu'il avait pu tirer le meilleur de ses équipes. C'était un homme qui possédait deux qualités rares et ô combien précieuses, il était un visionnaire hors pair (donc anticipait sur les besoins de ses clients, disons son public. C'est le mot) et il adorait l'esthétique (importance du design). Ainsi, il était un vrai artiste de l'industrie et les présentations de ses nouveaux produits étaient de véritables shows (c'est pourquoi il voyait ses clients comme un public à séduire). Jobs a réussi grâce à un autre choix, le grand public. Tout comme son compatriote Ford qui a inauguré la voiture automobile pour tous, il a orienté ses efforts pour les masses avec deux autres exigences et non des moindres : l'ergonomie du produit et sa sécurité. Une technologie aussi innovante et porteuse soit-elle ne peut, en effet, se transformer en source rentable d'argent que si elle ratisse large. Deux contre-exemples suffisent, le téléphone satellitaire et son réseau Iris, un concentré de technologies, de commodités et de potentialités, qui permettent de communiquer même du fin fond du Sahara ou de l'un des pôles, mais un véritable flop commercial. Second exemple, plusieurs molécules miracles pour de graves maladies dites orphelines moisissent dans les labos et ne peuvent être fabriquées en tant que médicament faute de rentabilité (problème qui suscite aussi de profonds débats éthiques). Entré dans la légende, à l'instar des grands inventeurs et génies, Jobs a réalisé ce que plusieurs d'entre eux n'ont pas réussi à faire, la fusion innovation-business car il était à la fois le maître d'œuvre et le maître de l'ouvrage. Dans les grosses entreprises, il y a la direction développement et recherche, la direction marketing, le département ou l'unité de veille concurrentielle, etc., et ce, à côté des fonctions managériales classiques. Jobs était tout cela à la fois. Mais notre légende n'aurait pas pu réussir de la sorte s'il n'y avait cet environnement humain, culturel, économique, politique et autres qui favorisait le génie et ne tuait pas dans l'œuf toute tentative d'innovation comme dans les sociétés traditionalistes et figées. Tout comme Bagdad, Le Caire, Kairouan et Cordoue qui étaient des destinations privilégiées pour le savoir et les innovations, la Sillicon Valley en Californie et les Etats-Unis en général ont su fructifier leur capital humain grâce, entre autres, aux immigrants. Une bonne majorité de ces célébrités sont, en effet, issues de la première ou de la deuxième génération d'immigrés. Jobs a emboîté le pas à plusieurs de ces génies de l'économie de l'intelligence, tels que Walt Disney, Bill Gates, Steven Spielberg. Il a participé en contrepartie à ouvrir la voie à d'autres, tels que Larry Page et Sergey Brin (Google), Mark Zukerberg et compagnie (Facebook). Plusieurs de nos jeunes se sont inspirés de ces pionniers, et à partir d'une idée originale ont conquis d'intéressants marchés. Mais la plupart d'entre nous continuons à discourir à propos de l'économie de l'intelligence sans vraiment y mettre le pas.