L'opération vote blanc s'est choisi hier pour décor l'école immaculée de blancheur de la rue de l'Inde dans le quartier de La Fayette à Tunis. Elle a voulu tester les élections dans des conditions réelles pour assurer une sécurité maximale au vote du 23 octobre. La petite école date probablement de l'époque coloniale, en atteste l'architecture arabisante des lieux et son utilisation insistante du répertoire décoratif traditionnel. En ces années 30-40, les Tunisiens portaient un projet d'indépendance, d'autonomie et de dignité. Mais il a fallu attendre presque soixante ans pour prolonger encore plus, encore mieux, le rêve jusqu'aux confins de la pluralité politique et des élections libres. A défaut de traditions en la matière, ces élections qui auront lieu dans six jours exactement se révèlent être un exercice terriblement compliqué, à l'opposé d'une sinécure. Traits tirés, les cadres de l'Isie, qui supervisent, toute vigilance dehors, l'opération blanche, en perdent le sommeil. A neuf heures du matin, l'animation est à son comble dans la cour : beaucoup de journalistes, de photographes, de représentants des partis et d'observateurs tunisiens et étrangers ont été invités à suivre le déroulement de cette expérience inédite en Tunisie. Les faux électeurs, une quarantaine à dominante masculine, qui ont eu vent de la simulation à travers les communiqués de presse, munis de leurs cartes d'identité, s'alignent devant une salle de classe transformée en bureau de vote. Une affiche monumentale pend de l'étage. Elle explique à travers une suite d'images le mode d'emploi des élections de l'Assemblée constituante. Les reporters ne devront pas perturber le calme des bureaux de vote "Il y a toujours un intérêt à tester l'opération dans des conditions réelles d'une part et d'autre part, à la médiatiser en informant les citoyens sur sa logistique, ses phases et son déroulement. Nous avons formé 25.000 agents des bureaux de vote. D'ici la semaine prochaine, un peu plus de 20.000 autres seront prêts pour superviser les élections du 23 octobre", affirme Souad Triki, vice-présidente de l'Isie. Le président du bureau montre comment l'urne se ferme par l'intermédiaire de rubans adhésifs et d'un code spécifique. Le nom du premier électeur est introuvable. Il sera dirigé le jour du scrutin vers l'un des 265 bureaux de vote spéciaux destinés notamment aux citoyens n'ayant pas encore été inscrits sur les listes électorales. Une jeune femme suit. Après avoir plongé son doigt dans l'encre indélébile, elle laisse son portable et sa carte d'identité chez la responsable du bureau pour passer à l'isoloir. Le bulletin qui lui est soumis est de format A4. Elle devra cocher devant la liste de son choix représentée par le nom, le logo et le numéro de cette même liste. Au moment de glisser son bulletin dans l'urne, un chahut se lève : le président du bureau interdit aux photographes de matraquer la jeune femme de leurs flashs. Encore une simulation ? Pour Mohamed Habib Khadraoui, responsable de la formation des agents de bureaux de vote, ce problème provoqué spontanément par ces élections grandeur nature est intéressant à évoquer : "Les photographes et les journalistes accrédités devront se présenter au président du bureau qui, seul et selon l'espace de circulation réservé aux élections, peut les autoriser à accéder à l'intérieur du bureau. Les reporters sont tenus de respecter les conditions de calme et de sérénité qui doivent régner dans les centres électoraux". Le laboratoire tunisien Les faux électeurs continuent à défiler, un non-voyant accompagné d'un parent, un handicapé moteur, une vieille dame analphabète… Les journalistes sont priés de se retirer de la salle de classe afin de laisser les cadres de l'Isie suivre le déroulement du vote et relever ses défaillances et ses petites lacunes. Mohamed Habib Kadhraoui a déjà relevé que les personnes témoins du vote, les agents, les observateurs et les journalistes n'ont pas signé la feuille de présence obligatoire. La cour de l'école devient un immense centre de presse. Les interviews y vont bon train. Discrètement, Hichem Ben Ammar, cinéaste spécialiste du documentaire, continue à filmer l'ambiance, les discussions qui s'ouvrent dans les cercles restreints et surtout le vrai et le faux de cette matinée particulière. "Je pense au côté miraculeux de l'affaire. Les élections ont été préparées en si peu de temps. Avec beaucoup de volonté, de passion et de foi, on peut soulever des montagnes. Nous ne sommes pas obligés de suivre les modèles des autres pays qui ont connu des transitions démocratiques en matière d'organisation des élections. On pourrait bien inventer un système tunisien. Puisque nous sommes en plein laboratoire…". Sami Ben Salah, banquier, électeur, patiente tranquillement depuis plus d'une heure. Il critique le temps d'attente : "Trop long. Est-ce parce qu'aujourd'hui les conditions sont exceptionnelles avec l'introduction des nombreux photographes et équipes de télévision ? Je l'espère. D'autre part, sur le bulletin, certains logos se ressemblent tellement qu'il y a un risque de confusion chez l'électeur. Il faudra faire très attention où cocher. J'ai confiance dans la transparence des procédures de ces élections organisées sous la haute surveillance, non pas seulement de la police, de l'armée et des observateurs, mais également de tous les Tunisiens". La simulation s'arrête là. A l'extérieur, les patrouilles de l'armée ne seront pas tenues cette fois-ci d'acheminer les urnes avec les PV vers les centres de collecte pour commencer le dépouillement des bulletins de vote.