Par Dr Ridha JEMMALI La psychiatrie, un domaine ou une spécialité de la médecine classique s'intéressant à la prise en charge du malade atteint d'une affection mentale. Elle a été cantonnée jusqu'à nos jours dans des institutions portant son nom. Elle a connu, au fil du temps, en Europe essentiellement, une évolution considérable, aussi bien dans ses concepts que, surtout, dans ses pratiques. L'histoire nous en dit long sur ce sujet. Considérés pendant longtemps, et dans une grande mesure, comme «habités» par des démons, ces malades furent ligaturés, cravachés et torturés parfois jusqu'à la mort, et ce, dans un objectif de les «exorciser». Et ce fut le prêtre, au début, qui se chargeait, plutôt indirectement, de recruter et de mandater les «exorcistes». C'est, en fait, l'évolution des sociétés et le développement rapide de la science et de la médecine au cours des derniers siècles avec, en plus, et certainement, l'avènement progressif du principe des droits de l'Homme, qui ont le plus contribué à «libérer» ces pauvres malades de leurs souffrances, ainsi que de ces pratiques ancestrales... De là à vouloir aller jusqu'à diaboliser toute la « procédure » et tout le système et de les abolir en procédant peu à peu à leur «désinstitutionalisation» et à la fermeture des instances et hôpitaux (psychiatriques), comme le préconise l'Organisation mondiale de la santé (OMS), cela relève de «l'invraisemblable»! C'est, en somme, l'objet et le thème de la Journée mondiale de la santé mentale, organisée récemment, à Tunis, par le ministère de la Santé publique (unité de promotion de la santé mentale, direction générale de la santé), en collaboration avec le bureau de l'OMS de Tunis et la Société tunisienne de psychiatrie (STP). Une fois les allocutions officielles des représentants de ces trois instances prononcées, le professeur Zouhaier El Hechmi, éminent psychiatre tunisien, chef de service à l'EPS Errazi de Tunis et chercheur, introduisait la première séance par une communication mettant l'accent sur «la culture et la santé mentale». L'essentiel du propos a été axé sur la tolérance de la culture arabo- musulmane face au malade en général et vis-à-vis de celui atteint d'affections d'ordre mental, nerveux et de l'humeur (psychiatrique)en particulier. Ce fut ensuite le tour d'un chercheur français de la région de Lille, Mr Jean Luc Roelandt, lui aussi professeur de psychiatrie, de présenter les résultats de l'Enquête SMPG (Santé mentale en population générale), menée d'abord en France métropolitaine puis dans les départements d'Outre-mer entre 1999 et 2003 ; par la suite dans quelques pays africains et dans notre pays en 2005, et ce, conjointement avec la partie tunisienne. Entre autres objectifs, cette enquête avait celui de décrire, en population générale, les représentations liées à la santé mentale et d'évaluer la prévalence des principaux troubles psychiques, tout en essayant de chercher des liens (corrélations) avec les états et/ou les situations pouvant être à l'origine des comportements qui les sous-tendent. La description de représentations liées à «la folie», «la maladie mentale, «la dépression», «le viol», etc, ainsi qu'aux différents modes d'aide et de soins d'une part et, d'autre part, la sensibilisation des différents partenaires sanitaires, sociaux, associatifs et politiques à l'importance des problèmes de santé mentale et la promotion et l'instauration d'une psychiatrie intégrée dans la Cité, faisaient également partie des principaux objectifs recherchés par l'enquête. En Tunisie, une première démarche visant à élargir le spectre de la psychiatrie à la notion de santé mentale a été faite déjà en 1991 lors d'un séminaire de consultation des différents partenaires et intervenants, organisé sous les auspices du ministère de la Santé publique et en présence du ministre lui-même de l'époque. Malheureusement, cette initiative n'a pas trouvé une mise en application concrète sur le terrain et le projet est resté lettre morte ou presque. Cette nouvelle tentative de réhabilitation trouve-t-elle aujourd'hui ce dont elle avait besoin pour démarrer? Notre pays ne compte qu'un nombre limité de spécialistes en psychiatrie (212 pour l'instant) : ce nombre doit être doublé si on veut promouvoir la santé mentale de proximité. Le nombre de psychologues doit être lui aussi révisé à la hausse et leur recrutement dans ces structures de soin, appelées aussi Centres médico-psychologiques (CMP), doit être soutenu. Le chômage a été l'un des thèmes abordés par l'enquête et on a trouvé qu'il a été un des principaux pourvoyeurs d'affections anxio-dépressives. Pour le Tunisien, il est clair que les chômeurs, les démunis et les laissés-pour- compte, surtout dans le Centre et le Sud tunisien, ont constitué le point de départ, puis la plaque tournante de la révolution du 14 janvier dans notre pays. Ils sont pour beaucoup dans le grand changement que nous vivons maintenant sur la voie de la liberté, de la démocratie et des droits de l'Homme. Encore faut-il que nous fassions tous preuve de plus de tolérance et de respect à l'égard de l'autre. Le manque de tolérance envers autrui est, selon la quasi-totalité des experts, de nature à générer les maladies mentales. Soyons-en conscients et faisons donc preuve de plus de tolérance et de retenue.