Le titre de la dépêche Reuters en provenance de Washington est "alléchant". Macabrement alléchant : "L'Iran capable de frapper le territoire américain en 2015". Un minuscule point d'interrogation simule de tempérer l'ardeur dramatique de l'assertion. Timidement et sans trop de conviction. Parce que les mots clés sont bien "Iran", "frapper" et "territoire américain". Ce qui induit immanquablement la peur, la sinistrose et la victimologie américaine. Avec, en toile de fond, la diabolisation d'un éternel Iran voué aux gémonies depuis trente ans dans l'imaginaire américain. Le titre consommé, on passe au corps du texte. Là, ce ne sont pas les superlatifs et les conditions hypothétiques qui manquent. Qu'on en juge : "Avec une aide étrangère suffisante, l'Iran pourrait probablement développer et tester un missile balistique intercontinental capable d'atteindre les Etats-Unis d'ici 2015", déclare le Pentagone dans un rapport déclassifié transmis au Congrès et rendu public lundi. Pourtant, il y a moins d'un an, un rapport des services de renseignements estimait l'Iran incapable de disposer d'un missile de très longue portée avant la période 2015-2020. Mais les logiques scabreuses des services de renseignements semblent avoir des alchimies que la logique ignore. Dans le document du Pentagone, l'analyse ne se limite guère aux seules dimensions irano-iraniennes. Elle embrasse toute la région proche et moyen-orientale. Ainsi en est-il de l'évaluation des modalités de soutien iranien aux insurgés d'Irak et d'Afghanistan ainsi qu'au Hamas palestinien et au Hezbollah libanais. Il y est même affirmé que moyennant le soutien de l'Iran, le Hezbollah dispose d'un arsenal militaire de loin supérieur à ce dont il disposait avant sa guerre de 2006 avec Israël. Un faisceau d'indices réconfortant la véritable obsession israélienne de l'Iran en somme. Elle se résume en une idée fixe ressassée à n'en plus finir : désarmer l'Iran par le biais d'une attaque de ses sites et installations stratégiques tant par les forces israéliennes proprement dites que par les forces américaines. Et puis certaines coïncidences sont douteuses. La veille même de la divulgation du rapport du Pentagone, l'amiral Mike Mullen, chef d'état-major interarmes des Etats-Unis, a parlé. Il a déclaré dimanche qu'une frappe militaire pour dissuader l'Iran de s'armer du feu nucléaire était aujourd'hui la "dernière option". C'est dire la gravité de la situation. Le monde ne semble guère au bout de ses peines. Un nuage de cendres islandais a déjà mis les affaires de la planète sens dessus dessous, plus d'une semaine durant. Cela se traduit déjà par des centaines de millions d'euros de perte sèche chaque jour. Que dire d'un conflit armé à large échelle frappant l'Iran et atteignant la zone des principaux gisements pétroliers mondiaux et leur principale voie d'approvisionnement. Pour les observateurs avertis, cela n'augure de rien de bon. Et cela dénote du véritable état d'esprit de ceux qui sont supposés présider à la sécurité du monde. Bien pis, le prétexte de ce conflit incite à penser sérieusement les véritables motivations de ses protagonistes. Est-il besoin de rappeler que le programme nucléaire iranien datait de l'époque du shah d'Iran, qui officiait comme une pièce maîtresse du dispositif américain dans la région jusqu'à son renversement en 1979 ? Ironie de l'histoire, c'est le régime issu de la révolution iranienne qui a stoppé net ce programme parrainé alors par les Américains et les Européens de l'Ouest. La République islamique d'Iran a repris ce programme plus de deux décennies plus tard et à des fins, à ses dires, strictement civiles. La levée de boucliers américano-israélienne, relayée par les principaux pays occidentaux, a fait une bruyante irruption sur la scène internationale. Et aujourd'hui, le chef d'état-major interarmes des Etats-Unis déclare tout de go que la frappe militaire contre l'Iran est la "dernière option". Dans La puissance et la gloire de Graham Greene, il est dit que croire à la paix est une sorte d'hérésie. C'est malheureux de le reconnaître, mais les choses semblent marcher ainsi.