Il est vrai, qu'au départ, le rap tunisien avait relativement du mal à trouver une certaine visibilité médiatique par rapport à l'ensemble des canaux de diffusion en place, sauf avec le web qui l'a, d'emblée, accueilli, les bras ouverts. A présent qu'il en est tout autrement, le rap se diffuse incontestablement, en touchant une part de la population toujours plus grande. Devant une telle réalité, les rappeurs se sont fait de plus en plus nombreux, créant par là-même, une industrie spécifique, non négligeable, du commerce musical. Pour saisir la singularité de cette propagation, nous sommes allés à la rencontre de l'un d'eux, Zied Ben Aïssa, alias Limbra, pseudonyme et diminutif de " Limbratour" (l'empereur). Dans le milieu depuis une douzaine d'années, ce jeune homme de 26 ans a d'abord évolué avec le groupe " CTH Family ", avec qui, depuis environ une douzaine d'années, il a donné plusieurs concerts et tournées, en Tunisie et à l'étranger. Il a également touché de près aux domaines de la composition et des arrangements musicaux. Il a travaillé, dans ce sens, avec le groupe français " 113 ", et a professionnellement côtoyé des studios d'enregistrement tunisiens, comme Ulysson. Méritant parcours pour Limbra, qui, en autodidacte chevronné, s'est acharné à défendre sa passion, le rap. Fort d'une certaine polyvalence dans cette sphère artistique, il en a présentement un juste recul. Il nous parle de ce mouvement comme " une issue pour nombre de jeunes", qui y voient une source d'expression intarissable. Limbra affirme alors que " le public tunisien est en train de s'agrandir ", " présent, attentif, chaleureux, il est plus que jamais avec le rap ", dit-il. De plus, son auditoire est homogène, " lors des concerts hip-hop, il y tous types d'individus dans l'assistance ". A ce sujet, le rappeur-raggaman admet avoir " plus d'intérêt à toucher les personnes qui ne l'écoutent habituellement pas, car être devant ce type de profil le stimule fortement ". C'est un genre de défi qui " booste " certainement son message, et son art. Certes le rap est né dans les quartiers populaires, et souvent défavorisés, mais il a également une écoute considérable dans les milieux riches et bourgeois. Même si cette problématique de déséquilibre entre les classes et les niveaux sociaux est réelle, pour les acteurs du Rap, il serait antinomique, par rapport au mouvement même, de trancher sur la qualité d'un rappeur en fonction de ses " attributs " civils. Devant cette réflexion, Limbra affirme de suite que " dans le Rap, il n'y a pas de casting, le rappeur doit juste être un homme de principes, le reste suivra ". N'est-ce pas là une qualité universelle? Il n'est pas toujours aisé pour Zied Ben Aïssa, alias Limbra, comme pour la majorité des rappeurs tunisiens, de respecter leurs choix musicaux et engagements artistiques. Ils tombent bien des fois dans les contrats commerciaux, pain quotidien et obligatoire de leur survie scénique. Se trouvant au pied du mur, ils acceptent, par exemple, de prêter " leur rap " à des feuilletons télévisés sans rapport aucun avec leur idéologie, bien au contraire... Limbra parle de " nécessité alimentaire ", alors que d'autres rappeurs " du bled " pensent que la solution médiatique de la télévision, et par extension celle du cinéma, constitue un possible chemin pour la reconnaissance du rap dans notre pays. L'artiste Balti, figure majeure du milieu en Tunisie, a longtemps défendu ces enseignes, en participant dès le début de sa carrière à différents projets télévisuels, à grand public. En composant plusieurs morceaux sur la bande originale du film Prince, de Mohamed Zran, il commence par mettre le rap sous les feux de la rampe. Il continue ensuite avec Le Projet de Mohamed-Ali Nahdi, et plus récemment avec le dernier feuilleton ramadanesque de la chaine Canal 21 Njoum Ellil. En effet, le 7e Art fait, depuis, les yeux doux " au rap, et plusieurs coopérations ont vu le jour dans ce sens. Pour certains cinéastes, le rap devient influent, et non seulement ils en font usage dans leurs films, mais ils s'en servent directement à titre promotionnel. Un des cas de figure, les plus parlants, reste le morceau "Elli Baka el Eyn", titre flambeau de Making of , le long métrage de Nouri Bouzid, interprété par R2M, rappeur local, et Lotfi Abdelli, l'interprète du film. Cet extrait a permis aux hommes de cinéma de remarquer l'influence et l'attraction exercées par la scène rap sur la jeunesse tunisienne, leur ouvrant par là-même, des voies ignorées jusqu'ici. Sur cette lignée, Ibrahim Letaief, réalisateur et producteur de Cinecitta, tente lui aussi l'expérience, et après Lotfi Abdelli l'acteur, c'est Dali Ben Jemâa qui s'est converti en rappeur pour un " featuring " avec Wajdi, alias Big Boss, du groupe Mascott. Pour ce morceau voulu polémique et contestataire, traitant des difficultés du statut de l'artiste, rôle interprété par Ben Jemâa où il tente d'imposer son art dans un milieu cinématographique décrit comme féroce et matérialiste, nous remarquons que le rap peut, à des fins spéculatives et commerçantes, tomber dans l'amalgame de sens, et donc de sensibilité. Il semble qu'ici, l'essentiel était d'avoir du rap dans la promo. Assurément, le style propre à l'identité musicale et spirituelle du rap gagne, sous nos cieux, ses talents de gloire. Ses protagonistes ont alors ce devoir nécessaire de " boussole ", pour toujours mieux guider une génération de jeunes perdus, entre leur désir de dire, et leur désir de comprendre. Alors, les rappeurs, compagnons de route du futur?