Par Freddy VAES C'est en ma qualité de Belge que je m'adresse à vous aujourd'hui, pour vous dire en substance : «Pas de panique». Vous n'ignorez pas en effet que mon pays détient le triste record mondial d'une période post-électorale toujours à la recherche d'un gouvernement, période toujours en cours à ce jour d'ailleurs. Une année et quelques mois sans accord en vue, c'est dingue non? Et que font mes compatriotes pendant ce temps ? Ils continuent à vivre, que faire d'autre ! Mais le gouffre entre le monde politique et le peuple ne cesse de se creuser, le commun des mortels a de moins en moins confiance dans les élus. Les uns et les autres ne vivent plus dans le même monde, phénomène qui s'amplifie chaque jour au sein du monde occidental, notamment par la naissance des manifestations des «indignés». Indéniablement, les fruits de la croissance, pour autant que celle-ci existe encore, font l'objet d'un partage par trop injuste. Un printemps occidental se préfigure-t-il dans un proche avenir? Ici, en cette belle Tunisie, moins d'un mois après le verdict des urnes, j'observe chaque jour des signes réels d'impatience, des rumeurs les plus diverses, bref une pression importante à l'égard des négociateurs. Ces réactions, quoique parfaitement compréhensibles, pourraient toutefois être perçues comme des signes de précipitation. Or, travailler dans la précipitation, c'est certainement la méthode qu'il convient de proscrire. Les «choses» suivent leur cours normal me semble-t-il, les négociations entre les trois partis concernés n'ont rien d'extraordinaire, nul doute qu'elles sont ardues, tendues voire virulentes, mais pourvu qu'au bout du compte elles soient considérées constructives, le sang des martyrs n'aura pas coulé pour rien. Période difficile, combien délicate sachant que tout doit faire l'objet de compromis, on repart presque de zéro dans nombre de domaines dont la très essentielle et fondamentale Constitution (à propos de l'élaboration de celle-ci, soit dit en passant, rien n'interdit la participation d'un plus grand nombre de partis politiques). Puis il y a tout l'économique, le social, la culture, les sports, l'enseignement... Bigre, les élus et les technocrates peuvent s'activer jour et nuit tant le travail s'avère gigantesque. D'aucuns parmi les susdits négociateurs ont connu l'exil; cela n'est pas une mince affaire. Beaucoup de familles tunisiennes possèdent l'un ou l'autre parent vivant sur le sol européen et elles peuvent témoigner que si il y a bonus financier pour l'exilé, c'est trop souvent au détriment de son bien-être psychologique tant la difficulté de vivre en dehors de ses racines, de sa culture, peut être déstabilisante. Toutefois, les élus qui ont connu cet éloignement forcé sont certainement revenus titulaires d'une bonne expérience en matière de politique, tant nationale qu'internationale. Expérience qu'il importe évidemment de partager avec les élus qui sont demeurés au pays, cela coule de source ces derniers étant autant légitimees qu'eux. D'une manière ou d'une autre, Ennahdha, les CPR et Ettakatom s'apprêtent inévitablement à entrer dans l'Histoir de la Tunisie compte tenu du fait qu'une révolution est rarissime dans la genèse d'un Etat. Le tout consiste à savoir si leurs représentants seront capables de faire passer l'intérêt général de la population tout entière avant leurs propres intérêts personnels, tant la vanité de disposer d'un titre ronflant peut parfois écarter l'un ou l'autre de ses devoirs réels envers la nation. Au terme des deux millénaires écoulés, la liste des grands hommes, des vrais grands hommes ayant apporté un indubitable plus à l'humanité n'est pas exagérément étoffée; un tunisien viendra-t-il s'adjoindre à ces bienfaiteurs de la planète ? Qu'enseignera l'Histoire dans quelques générations aux écoliers et aux étudiants Tunisiens ? Les années charnières 2011-2012 seront-elles considérées comme synonymes de la naissance de la première vraie démocratie arabo-muslmane ? Messieurs (Madames?) les négociateurs, cette formidable opportunité vous a été offerte par les électeurs le 23 octobre dernier, là et uniquement là se situe votre mission. Un peuple entier espère en vous. Plus qu'un peuple entier même, puisque tous les démocrates du monde suivent vos travaux, sachant que la liberté est universelle, qu'elle ignore l'aspect artificiel des frontières entre Etats. L'Histoire jugera, sans faute ! A bon entendeur ...