Samedi, 13h.30. M'dhilla est déserte et ressemble à une ville traversée par un cataclysme après ce qu'elle a vécu mercredi dernier, et ce, à la suite de la colère suscitée par la proclamation des résultats partiels des recrutements à la Compagnie des phosphates de Gafsa (CPG). Le bilan des dommages est lourd : la filiale de la direction générale de la CPG, le bureau de police, celui de la garde nationale, deux trains et plusieurs véhicules, entre autres, ont été incendiés. La poste et la municipalité ont fait l'objet d'actes de pillage. Entièrement handicapée, la ville semble être plongée dans un silence insondable. Un silence qu'un habitant de la région a choisi d'expliquer à sa manière : «Ces dégâts sont l'aboutissement d'une colère volcanique qui a saisi ceux qui n'ont pas réussi les concours en question. Ceux qui assistent impuissants et désespérés à la misère dans laquelle sombrent leurs familles et leurs enfants. A M'dhilla, depuis que l'on s'est rendu compte que les promesses de lendemains meilleurs n'étaient qu'une sorte de calmant, le feu n'a fait que couver sous la cendre. Et les résultats des concours de la CPG étaient la goutte qui a fait déborder le vase.» Là-bas, à M'dhilla, sous un ciel barré par des nuages sombres et sur des façades portant toujours les séquelles d'une grande agitation, se lit aisément la dureté du quotidien, et les hommes avouent qu'ils «ont pauvrement vécu et qu'ils demeurent loin des regards des politiciens.» Critères et dépassements Rencontrés au sommet de la colline, au bord de l'oued traversant l'ancien village, ou encore dans l'intimité de leurs maisons, les témoins tiennent le même discours : « Les candidats retenus ne remplissent pas, pour une grande partie, les critères exigés et le copinage existe encore à la CPG.» Cherif Maiti, maîtrisard en langue et littérature anglaises et père d'un enfant, toujours au chômage, avance que certains diplômés du supérieur ont été retenus pour le poste d'agent d'exécution. Or, font-ils valoir, le communiqué de presse de la CPG stipule que cette catégorie de demandeurs d'emploi n'est pas concernée par ce type de postes, vu qu'on leur réserve d'autres spécialités. «Personnellement, après avoir vainement tenté ma chance pour intégrer l'enseignement, je me suis présenté pour ce concours muni uniquement de mon attestation de réussite à l'examen du baccalauréat. J'ai, néanmoins, ignoré ma licence dans l'espoir de décrocher un gagne-pain. Au départ, j'étais convaincu que je ne serais pas prioritaire pour ce genre de poste. Toutefois, à l'annonce des résultats, je me suis rendu compte que certains diplômés du supérieur ont été retenus pour le même poste, alors que je dispose d'un score plus élevé que le leur. Là, je me suis demandé de quelle transparence on parle.» Ainsi vont les rumeurs à M'dhilla : «Les postes ont été obtenus à l'avance sur les terrasses des cafés, dans les couloirs de la direction générale de la CPG ou encore par téléphone». C'est en tout cas ce que pensent nos interlocuteurs. Bouali Yahiaoui, âgé de 42 ans, licencié en histoire, considère lui aussi que l'accord fait avec la CPG n'a pas été respecté. «Le fait de retenir des diplômés du supérieur pour le poste d'agent d'exécution relève d'une violation de la convention préétablie avec la direction générale de la CPG. Il faut rappeler à ce propos qu'afin d'éviter toutes sortes de troubles, il a été procédé à la mise en place d'une délégation locale de sélection, composée de représentants de toutes les tribus. Cette délégation exerce sur le plan local afin de déterminer les candidats remplissant les critères exigés par la CPG. Parmi les principes de choix figure celui de recruter un seul candidat par famille. Toutefois, après la publication des résultats, il s'est avéré que l'on a retenu bon nombre de candidats issus des mêmes familles (deux frères, un frère et une sœur, etc). Plus, des résidents à l'étranger qui ont été éliminés dès le départ figurent parmi les candidats retenus. Là, on se demande comment leurs candidatures ont atteint la commission du ministère de la Formation professionnelle et de l'Emploi. C'est ce qui a vraiment irrité les gens et les a poussés à exprimer leur colère. Ceux qui cherchent à induire l'opinion publique en erreur en lui faisant croire que même en créant des postes d'emploi dans notre région, la violence y demeure de mise, ceux-là n'ont aucune raison de le faire. Il vaut mieux se pencher sérieusement sur le problème pour déterminer les défaillances techniques et/ou humaines», souligne Bouali. De son côté, Temim Yahiaoui, 28 ans, membre de la commission locale de sélection, confirme les points évoqués par l'interlocuteur précédent au sujet des candidats retenus qui n'auraient pas dû l'être. Mais il précise que près de 100 cas ont été éliminés. Comme il le fait remarquer, ces éliminations concernent des chefs de chantiers, des résidents à l'étranger et des familles aisées. «Conformément à l'accord préétabli avec la partie concernée, il a été prévu d'embaucher 292 cas sociaux. Or ils n'en ont retenu que 90. Autre donnée qui fait vraiment rire : ils ont recruté des filles pour garder des carrières de phosphate dans les montagnes. Inutile de commenter». Assil, une histoire qui en dit plus Pour Cherif, comme pour Bouali et Temim, Assil Yahiaoui est un témoignage vivant du non-respect des critères établis par la direction de la CPG pour le recrutement des demandeurs d'emploi. Cet orphelin de 18 ans a à sa charge 4 frères et sœurs mineurs et vit de ce qu'il gagne à la sueur de son front dans les chantiers de construction. Lui dont le père et la mère (enceinte alors de deux jumeaux) ont été assassinés par leur voisin psychopathe lors du conflit tribal qu'a connu dernièrement la ville, il lui a été promis par M. Taoufiq Khalfallah, ancien gouverneur de Gafsa et M. Kais Dali, actuel président directeur-général de la CPG, d'être recruté soit par les Industries chimiques de Gafsa (ICG) soit par la CPG. Une promesse qui n'est toujours pas concrétisée puisque son nom ne figure pas parmi les retenus. «Moi qui ai récemment perdu mes parents, je ne veux plus rien de personne. Tout mon espoir est de parvenir à avoir un gagne-pain afin de pouvoir subvenir aux besoins de mes frères et sœurs dont certains sont toujours traumatisés par l'assassinat de nos parents. Ils n'ont personne d'autre que moi au monde et je n'ai qu'à accomplir ma mission afin que mon père et ma mère dorment en paix. Cela est tributaire d'un gagne-pain. Un juste gagne-pain, pas plus». L'autre histoire qui pourrait intriguer est celle de Abdelkader Ajina. Ce jeune homme de 29 ans avance qu'il a un un BTP en industrie mécanique et un permis de tourisme. Comme il le souligne, il remplit tous les critères demandés par la CPG pour le poste d'agent d'exécution. Toutefois, sa candidature n'a pas été retenue. «On est huit frères et sœurs chômeurs. Mon père est retraité de la CPG et sa rémunération mensuelle est loin de subvenir aux plus élémentaires de nos besoins. On a également une grand-mère malade à notre charge. On s' est tous présentés aux concours : ils n'ont retenu personne. Au départ, nous étions confiants que notre réalité serait meilleure avec la révolution. Nous nous attendions au recrutement de l'un d'entre nous, au moins. Ce qui ne s'est pas produit et qui a emporté nos espoirs. A vous de demander aux gens ce qui s'est passé le jour de la proclamation des résultats : des mélopées partout dans la ville».