Le ballon rond est malade d'un accès de fièvre qui le plonge régulièrement, en ce début de saison, dans une violence sordide. Fait insolite : mercredi dernier, la rencontre de la 4e journée de Ligue 1, Avenir Sportif de Gabès-Olympique de Béja (2-2) a débouché sur de graves débordements. Dans la confusion générale, le trio arbitral, conduit par Elyès Souiden, n'a pas été le seul à être malmené, mais également l'entraîneur local, le Suisse Christian Zermattan. La nouveauté dans ce dérapage incontrôlé, c'est de voir le public s'en prendre à ses propres favoris, soit à son coach dans le cas de figure. Les supporters —les plus radicaux et turbulents— s'érigeraient-ils désormais en faiseurs de pluie et de beau temps? Seraient-ils en voie de se substituer aux dirigeants pour décider à leur place? Insidieuse pente glissante sur laquelle paraît s'enliser le foot de haut niveau, qui perd le Nord au milieu de la déliquescence du pouvoir naturellement dévolu aux dirigeants. La «rue» commanderait-elle? S'emploierait-elle à dicter ses desiderata et à imposer sa loi? Il y a, à l'évidence, des signaux forts : l'épisode de Gabès où une frange du public de la «Zliza» met une pression malsaine sur l'entraîneur dans le but, clair et précis, de le faire fuir. Coups de poing et menaces à l'appui, ce qui aurait décidé la victime à poursuivre ses agresseurs en justice. A Béni Khalled, l'assemblée générale élective tenue, il y a une dizaine de jours, a apporté aux fans une tribune providentielle pour verser le fuel de leur courroux sur le jeune technicien Lotfi Kadri qui avait assuré la saison passée l'accession parmi l'élite du club capbonais. «Trop jeune et excessivement inexpérimenté pour tenir les rênes d'un club de L1. Nous possédons une formation capable de jouer les premiers rôles, mais Kadri n'est pas l'homme de la situation», s'étaient fendus quelques supporters dotés d'un sens original de l'analyse, quand on sait d'où vient l'ESBK (de la Ligue 2, en l'occurrence). Conséquence : Kadri, mortifié par les échos de cette croisade en règle, a préféré se retirer en douce, se sachant particulièrement visé et conscient du discrédit et de l'anathème qu'avaient jetés sur lui les tifosi de son propre club. Un comble! A Zarzis, l'abandon avant-hier de ses fonctions par Tarak Thabet, qui n'est tout de même pas un novice en Ligue 1, porte également les stigmates de la pression des gradins et virages qui forcent généralement la main aux parties intervenantes pour suggérer —sinon décider, tout court— quand un tel doit partir. Le risque de ne décider de rien Le poids des supporters, partie intégrante du microcosme sportif, a de tout temps aiguillonné l'existence de celui-ci jusqu'à en refléter les humeurs, les accidents de parcours et les moments de plénitude. Mais de là à concéder mollement, passivement, l'espace des grandes options devant la vox-populi de plus en plus agressive, c'est tout simplement s'exposer à la perspective de ne décider de rien. De réagir aux événements plutôt que de les anticiper. A contrario, il faut saluer le courage et la patience des dirigeants qui savent dire non, évitent de caresser dans le sens du poil et refusent de se laisser embarquer par les courants. Le Club Sportif Sfaxien n'a pas sacrifié à la solution de facilité qui lui aurait pourtant épargné la confrontation avec une bonne partie des supporters au retour de Gabès. Non au limogeage de l'Allemand Reinhard Stumpf. «Il n'est pas évident qu'il soit seul responsable», avait argué le comité directeur «noir et blanc». Au cœur de la fronde des fans sudistes qui avait pris des proportions inusitées (caillassage du bus transportant les joueurs au niveau de la localité de Skhira, menaces des sit-inneurs devant le complexe du club), les dirigeants étaient restés fermes dans leurs convictions, sur leur position. La roue a tourné: le CSS s'est subitement transfiguré car cela ne tient souvent qu'à un fil en football, et on n'est plus loin aujourd'hui de faire l'éloge du «printemps sfaxien».