L'ouvrage du célèbre penseur, universitaire et journaliste Abdelmagid Chorfi, a quelque chose dans son intitulé qui surprend, interpelle et suscite l'intérêt du lecteur : La révolution, la modernité et l'Islam. Il est présenté sous forme de dialogue, par Kalthoum Saafi Hamida. Dans une perspective de dynamique des événements en pleine évolution survenus à la suite de la révolution de la dignité, renvoyant à une dimension fondamentale dans le discours religieux, auquel il est reproché des tendances violemment hostiles à la modernité, l'auteur a écrit un pamphlet en termes mesurés et qui vient comme qui dirait à point nommé, pour remettre en vigueur l'indépendance des conceptions religieuses favorables plutôt à un système laïque, séculier et temporel. Toutes les tentatives employées pour détourner du droit chemin, contraires à la morale, seraient vouées à l'échec. Etre en conformité avec le discours apologétique visant à défendre et à justifier la modernité ne signifie nullement, comme le redoutent certains mettre des obstacles pour entraver et gêner la progression de l'Islam. Avant la révolution, le sentiment qui prévalait était loin de refléter une quelconque tendance religieuse. Le souci majeur qui préoccupait les Tunisiens était d'ordre économique, politique et social. Par quel hasard du destin le courant islamiste, jusque-là, opérant dans la clandestinité et en cellules dormantes, est-il parvenu à occuper le devant de la scène, en tirant la couverture à lui, en cherchant à s'attribuer tout le mérite des laissés-pour-compte d'une société qui les a longtemps ignorés et exclus? La laïcité ne doit pas être perçue comme une volonté de soustraire l'autorité religieuse et le discours rétrograde, réactionnaire et opposé au progrès et au diktat des intégristes, les jusqu'au-boutistes de tous bords, mais plutôt une réelle volonté de réduire au silence des voix qui distillent la haine et répandent le mal. Des voix discordantes qui ont tôt fait de transformer les mosquées supposées prêcher la bonne parole et la fraternité entre toutes les créatures du Seigneur en tribunes qui expriment publiquement des propos et des discours fascistes fondés sur une prochaine dictature théocratique, s'appuyant sur un pouvoir exercé au nom de Dieu d'où elle tire sa légitimité, par ceux qui se croient investis de l'autorité religieuse. Et l'auteur de s'interroger sur la possibilité d'élargir les horizons de la foi par sa mise à jour et sa mise à niveau en inscrivant la modernité dans son programme afin qu'on puisse discerner entre un islam qui réduit sa pratique à un simple rituel, limité dans une vision unilatérale et un islam profondément humain, imbu et nourri à la source des hautes valeurs humanistes qui mettent l'homme, son épanouissement et son destin au centre de ses préoccupations. En conclusion, la révolte en Tunisie est venue de ses profondeurs, réclamant à cor et à cri la fin des privilèges, le manque d'égard vis-à-vis de certaines régions frappées d'ostracisme, de «hogra» et une politique mieux équilibrée en matière d'emploi et de distribution des richesses. La défense de l'identité arabo-musulmane, le discours religieux et la façon d'appréhender l'islam dans toute sa complexité, ne sont là qu'un problème secondaire qui touche de très loin le Tunisien lambda. * «La révolution, la modernité et l'Islam», de Abdelmagid Charfi Préface et entretien de Kalthoum Saafi Hamida-Sud-Edition; novembre 2011