• Des assises placées sous le signe «Ô peuple, je t'aime» Les assises du 22e congrès de l'Union générale tunisienne du travail (25-28 décembre), placées sous le signe «Ô peuple, je t'aime», promettent d'être historiques à plus d'un titre. Ce congrès de la centrale syndicale, qui s'ouvre aujourd'hui et qui se poursuivra jusqu'au 28, intervient à un moment historique précis. Il s'agit en effet du premier congrès de l'Ugtt après la Révolution du 14 janvier 2011. Un congrès qui intervient sous le régime de l'Assemblée constituante issue des élections du 23 octobre 2011. Laquelle assemblée ne compte guère de syndicaliste dans ses rangs. A titre d'exemple, il faut savoir que plus du quart de la première Assemblée constituante tunisienne (1956-1959) étaient des syndicalistes (20 sur 98 membres). Par ailleurs, quatre syndicalistes étaient têtes de liste dans quatre des dix-huit circonscriptions d'alors (Jlass et Kairouan, Sousse, Médenine et Gafsa). L'Ugtt faisait partie alors du Front national qui regroupait le Néo-Destour, l'Ugtt et l'Union des agriculteurs. L'absence de l'Ugtt de l'Assemblée constituante n'est guère fortuite. Elle résulte d'un choix délibéré. Aujourd'hui, les syndicalistes s'en mordent les doigts. En effet, lors de la séance inaugurale même de l'Assemblée constituante, l'Ugtt a dû essuyer des critiques acerbes de la part de certains membres de la Troïka au pouvoir (les partis Ennahdha, le CPR et Ettakatol). Au-delà de l'incident proprement dit, l'Ugtt doit relever au moins quatre sérieux défis. Son 22e congrès s'y penchera assurément. Le premier défi a trait aux structures. La structuration traditionnelle, hiérarchisée et centralisatrice à souhait ne favorise pas l'éclosion des enjeux et dynamiques démocratiques au sein de l'organisation ouvrière. Entre deux congrès, les majorités et mouvances circonstancielles font du surplace. Elles font écran à l'expression démocratique intramuros. Les majorités écrasantes écrasent et les minorités se terrent. Il en résulte des luttes larvées, extra-syndicales et des interférences partisanes extérieures qui se répercutent vicieusement sur le travail syndical proprement dit. Le deuxième défi se rapporte au faible taux de syndicalisation de la classe ouvrière tunisienne. L'Ugtt ne compte en effet en son sein qu'à peine cinq cent mille ouvriers. Un taux très faible par rapport aux quelque quatre millions d'ouvriers que compte le pays. Bien pis, des pans entiers des agents, ouvriers et employés des secteurs des services et de la nouvelle économie immatérielle restent en dehors de toute syndicalisation. L'Ugtt gagnerait à s'y ouvrir et à s'y investir. Le troisième défi a trait, quant à lui, à la transparence et à la bonne gouvernance au sein même de l'Ugtt. Il n'est un secret pour personne que le syndicalisme traditionnel a généré, sous nos cieux, l'émergence d'une bureaucratie syndicale et d'une aristocratie ouvrière. Tout le monde sait les interférences de certains hauts dirigeants syndicaux avec le fait du prince et le cercle restreint des privilégiés de la fortune. Etrange alchimie qui a fait que des responsables en vue ont fini par devenir acteurs dans le pouvoir alors qu'ils sont supposés officier dans le contre-pouvoir. Or, une organisation de masse travaillée par la corruption et les malversations est par essence sclérosée. Last but not least, le quatrième défi s'inscrit au cœur de l'actualité brûlante : faire redorer à l'Ugtt son blason d'organisation de masse, militante, progressiste et faisant partie intégrante du large front démocratique. Un éventail étendu de sensibilités démocratiques, de diverses gauches, de patriotes et de progressistes est particulièrement actif dans les structures de l'Ugtt. A défaut d'union, tout ce beau monde a subi un cuisant échec lors des élections de l'Assemblée constituante du 23 octobre. Aujourd'hui, tous veulent s'adosser à un socle commun de valeurs, par-delà les luttes intestines et autres querelles de chapelle. Le travail syndical leur offre une opportunité concrète d'unification des rangs et de lutte pour les mêmes objectifs. Raison pour laquelle elles travaillent d'arrache-pied à la conception d'une liste consensuelle commune pour l'élection du nouveau bureau exécutif de l'Ugtt. La question démocratique, la préservation de l'aspect civil de l'Etat tunisien et du pluralisme de la société tunisienne exigent l'existence d'une Ugtt forte, dynamique, démocratique, transparente et disposée à accepter le pluralisme syndical. Autrement, la dissolution des valeurs démocratiques, notamment syndicales, feront craindre le pire, à terme. Parce que, ici, comme ailleurs, le sommeil de la raison engendre des monstres.