Par Soufiane Ben Farhat Notre époque cultive les symboles. Et l'année 2011 semble bien partie pour être symbolique pour ce début du XXe siècle. Un début tumultueux que la Tunisie révolutionnaire a marqué de son sceau. En effet, le Times a désigné Mohamed Bouazizi, vendeur ambulant qui a inspiré le printemps arabe, comme personnalité de l'année. «Bouazizi n'était pas un révolutionnaire, mais son acte de protestation a servi de catalyseur à une vague de révolte qui a transformé le Proche-Orient», a commenté le journal londonien. Mais que signifie être révolutionnaire en fait ? A une époque de remise en cause de tous les moules traditionnels, la standardisation classique n'est plus de mise. La consécration de Bouazizi personnalité de l'année interpelle quelques réflexions. En premier lieu, l'intervalle révolutionnaire ouvert avec la révolution tunisienne ne semble pas près de se fermer de sitôt. Ni de se cantonner dans les seules limites du monde arabe. C'est un peu comme la Révolution des œillets qui, en 1974 au Portugal, avait ouvert un cycle de changements qui ne s'est épuisé qu'en 1991 avec la disparition de l'Urss, en passant par la chute du mur de Berlin et du Rideau de fer en 1989. La crise mondiale s'étend et travaille en profondeur le terreau des révolutions en chaîne à l'échelle planétaire. D'ailleurs, les slogans et symboles-clés de la révolution tunisienne sont partout. Qu'il s'agisse des fameux «Indignés», «Dégage» ou «Achaab yourid is9at ennidham», on en a vu des répliques identiques en Chine, en Espagne, en Grèce, à New York et Washington et à Moscou. En vérité, le système capitaliste est à bout de souffle. Sa crise est structurelle. Elle revêt plusieurs facettes. Au tout début de sa flambée actuelle, vers juillet 2007, ce fut une crise des subprimes touchant le secteur des prêts hypothécaires à risque. Elle se déclina depuis en crise alimentaire, puis économique, puis financière, puis institutionnelle et enfin en crise généralisée de légitimité. Tous les pouvoirs, toutes les hégémonies sont dans le collimateur des Indignés. Les transcendances fondamentales n'opèrent plus. Les peuples quittent le cocon de l'obéissance et passent outre les dispositifs de domestication. Considérée sous cet angle, la symbolique de Bouazizi semble bien revêtir une signification universelle et planétaire. En second lieu, la consécration de Bouazizi personnalité de l'année interpelle le devenir de la révolution. Ici comme ailleurs, comme l'a dit un jour Napoléon Bonaparte, «dans les révolutions, il y a deux sortes de gens : ceux qui les font et ceux qui en profitent». Intervenant sur Shems FM début novembre, M. Yadh Ben Achour avait déclaré notamment à ce propos : «Ce qui s'est passé en Tunisie, en janvier 2011, est une révolution qui a opéré non seulement un changement de régime politique, mais aussi et surtout des mentalités et visions du citoyen tunisien. La révolution, qui a été faite par la jeunesse ainsi que par des citoyens activistes militant pour les libertés, s'est aujourd'hui vue appropriée par certaines personnalités, qui étaient en connivence avec l'ancien régime, et qui veulent aujourd'hui s'imposer comme des révolutionnaires, mais aussi par les islamistes qui ont tiré parti du potentiel d'islamité, historiquement ancré dans la société tunisienne». Ainsi donc, il y aurait d'un côté les révolutionnaires, de l'autre les accapareurs de révolutions. C'est une donne historique vérifiable à plus d'un titre et dans plus d'un pays. Bonaparte avait par ailleurs affirmé : «Nous avons fini le roman de la Révolution, nous devons maintenant commencer son histoire, cherchant seulement ce qui est vrai et faisable dans l'application de ses principes, et pas ce qui est spéculatif et hypothétique». On connaît la suite : après avoir accaparé la révolution française, Napoléon 1er était devenu le premier Empereur des Français. Si les anciens dirigeants ne reviennent que comme des fantômes, les vrais initiateurs des révolutions deviennent tout au plus des symboles. Et c'est tout dire.