En une dizaine de lignes sur une colonne dans la rubrique nécrologique, on tire un trait sur le parcours d'une personne parmi les mortels. Et c'est à peu près tout, surtout si le «partant» a vécu plutôt dans l'ombre que sous les feux des projecteurs. Mais ce qui est révoltant, c'est lorsque quelqu'un a connu la gloire et le prestige dans sa jeunesse avant de sombrer dans l'oubli et l'anonymat le plus complet. Tel est le cas de Mejri Hénia qui a rejoint dimanche 1er janvier le Paradis des footballeurs, sans que cela n'émeuve personne… Star des années 50 Dans les années 50, il fallait être un crack pour décrocher une place dans le gotha du football tunisien, et mériter la reconnaissance d'un public connaisseur qui apprécie le spectacle. Le vrai! Années 50 ? Il y avait les Fanfan Cassar, Ali Zgouzi, Noureddine Diwa, Hadj Ali, Ben Ezzeddine, Braïek, Hédi Feddou, Habib Mougou, Moncef Klibi et… un certain Mejri Hénia. Certes, la liste ne s'arrête pas à ces artistes du ballon, dont l'unique devise était de produire un jeu de haute volée. Mejri était le leader d'une fratrie qui a beaucoup donné au ballon rond hammam-lifois et national. Il y a lieu de citer le regretté Habib qui a dû interrompre une carrière prometteuse en raison d'une méchante blessure au genou, Hamadi Hénia, Mohsen Hénia et Kamel Hénia. Tous ont été d'excellents attaquants, hormis Mohsen qui fut un rugueux arrière central. Mais revenons à Mejri, cet ailier gauche qui ne ressemblait à aucun autre. Petit de taille, râblé, il était doté d'une pointe de vitesse ahurissante et d'une détente franchement prodigieuse, à tel point qu'on le surnommait Francisco Gento, le Merengue. Ajoutez à cela une précision de tir meurtrière et vous aurez un portrait révélateur de ce bonhomme qui a bâti sa réputation à la puissance du jarret. Je me rappelle encore le superbe but qu'il a planté au keeper Fabiano du Gallia d'Alger, lors des éliminatoires de la coupe de France en 1953 ou 1954. Ce jour-là, Mejri, placé à l'angle de la surface de réparation, réceptionne un centrage de Moncef Klibi. Il grimpe plus haut que les Algérois et place un heading d'une rare puissance qui a eu raison de la vigilance du gardien. Mais Mejri n'a pas fait seulement le bonheur du Club Sportif d'Hammam-Lif, la première formation professionnelle montée de toutes pièces par le prince Slaheddine Bey, avant de rejoindre l'Union Sportive Tunisienne en compagnie de son frère Hamadi et de Farzit, Krimou, Abdelkader… International Mejri a disputé 16 rencontres officielles en Equipe nationale (contre 17 pour son frère Hamadi), et marqué 7 buts (contre 8 pour Hamadi). Cela a démarré aux Jeux panarabes de Beyrouth 57. Contre la Libye, le 19 octobre, il participe à la victoire (4-3) en clôturant la marque. Il récidive contre l'Irak, battu 4-3. Mais se tait face au Maroc au sein duquel jouait la «Perle noire» Larbi Ben Barek. Puis, il revient à la charge en affrontant le Liban avec deux buts à son actif. Mais la Tunisie est battue par la Syrie en finale (1-3) et elle se contentera d'une médaille d'argent. Ensuite, Mejri participera efficacement à la qualification de la Tunisie aux Jeux olympiques de Rome 1960 qu'il suivra sur le petit écran, parce qu'il n'entrait pas dans le projet de Kristic. Hammam-Lif d'abord, l'UST ensuite et, enfin, Mégrine, tel a été le parcours flamboyant de ce pur gaucher qui tirait plus vite que son ombre et qui filait encore plus vite que le vent… Qu'il repose en paix !