Par Abdelhamid Gmati «C'est la faute aux médias est sans doute la phrase la plus fréquemment utilisée... La crise, c'est la faute des médias. Le volcan ? Pareil... Nous allons crever de chaleur, c'est la faute aux médias... Il est assez intéressant de noter qu'à chaque fois qu'une catastrophe, qu'un événement sortant de l'ordinaire se produit et paf, ne cherchez pas, c'est la faute aux médias !... Quand vous avez besoin de coupables pour expliquer l'échec de votre stratégie, rien ne vaut les médias... Le paradoxe auquel cela nous conduit, c'est de critiquer les médias pour la piètre qualité de leur travail, tout en les utilisant comme principale fenêtre de ce qui se passe dans le monde... ». Ces phrases sont empruntées à des articles et autres déclarations décrivant la situation des médias en France. Le phénomène n'est pas nouveau, ni exclusif. Cela se passe chez nous aussi. A chaque fois que notre pays a traversé une crise, durant les 50 dernières années, les médias ont été culpabilisés. On leur reprochait essentiellement d'avoir tu la réalité, de l'avoir déformée, d'avoir été des outils de propagande du gouvernement en place...Mais en étaient-ils responsables ou victimes ? La censure était de notoriété publique et concernait aussi bien les médias publics que privés. La révolution a beaucoup été saluée, notamment par les médias heureux d'avoir été libérés et d'avoir retrouvé la liberté d'expression et de pensée. Enfin ! Finis les sujets tabous, les pressions, les articles imposés et commandés, les articles censurés, les chantages, les licenciements abusifs, les interdictions de publication...En quelques mois, plus d'une centaine de médias ont été autorisés. Au point qu'on ne sait plus quoi lire, écouter ou regarder. Un beau printemps. Mais ne voilà-t-il pas que des voix s'élèvent de plus en plus pour reprendre la fameuse phrase « c'est la faute aux médias», et de proposer un contrôle par le biais d'une commission voire d'un ministère de l'Information. Même les nouveaux médias (électroniques, Internet, réseaux sociaux) sont concernés. Et dans une première étape, on s'en prend aux médias publics. Une grande proportion des médias à travers le monde, surtout ceux touchant la radio et la télévision, appartiennent à l'Etat. En principe du moins, on utilise trois termes différents pour parler de ce type de médias dont deux ont des significations différentes : – Les médias publics qui puisent à même le Trésor public pour présenter une programmation qui est dans l'intérêt de la population en général. Ils n'appuient aucun parti politique, pas même le parti au pouvoir. – Les médias nationaux qui appartiennent à l'Etat et utilisent aussi l'argent du Trésor public. Ils sont également contrôlés directement par l'Etat. – Les médias du gouvernement qui sont la propriété du parti au pouvoir et qui utilisent également l'argent du Trésor public. Ils sont aussi contrôlés par le parti au pouvoir. En Tunisie, les régimes en place ont toujours confondu «médias publics» et «médias du gouvernement». Or un «média public» est appelé à rendre des services publics et ne doit pas être contrôlé par le gouvernement. La distinction est importante et est garante de la liberté de presse. On impute à nos médias tous nos maux : comme leur influence est indéniable, on les accuse d'être irresponsables et de montrer des comportements néfastes, de mal interpréter la réalité, de déformer les faits, de faire le jeu d'un groupe ou d'un autre, de bloquer des projets, d'être toujours négatifs, de ne pas nous sensibiliser aux bonnes causes. Certes, il y a eu des dérapages, des mauvaises évaluations, des partis pris dus, en partie, à l'euphorie d'une liberté retrouvée, ou à du populisme, ou à des considérations commerciales... Certes, les journalistes, du moins certains parmi eux, devraient être plus circonspects et vérifier leurs informations. Les gouvernements d'ici et d'ailleurs ont toujours été mécontents des médias dès lors que ceux-ci font état des manquements ou des erreurs. Lorsqu'un journaliste qualifie le président de la République ou le gouvernement actuels de «provisoire», énonce-t-il une contre-vérité ou est-il « péjoratif » ? N'est-ce pas l'expression d'une réalité ? Les précédents étaient toujours qualifiés de «provisoires» ou de «transition» sans que cela prête à conséquence. Un ancien Premier ministre «provisoire» disait récemment que les médias l'indisposaient parfois, certains ne le ménageant pas. Mais, précisait-il, il vaut mieux s'en accommoder et garantir la liberté de presse, celle-ci étant garante de la démocratie. Les médias sont appelés à faire leur travail selon leur déontologie. Ils ont commis des erreurs, et ils ont commettront encore. Le gouvernement aussi. Et nul n'est infaillible.