Par Aïcha MEHIRI HAFFANI La cabale déclenchée contre les dignitaires de l'ancien régime dictatorial et mafieux a engendré une phobie visant indifféremment les vrais destouriens et les acolytes du Rassemblement constitutionnel démocrate (RCD). Pourtant, bien que rien ne lie l'un et l'autre, ni par l'historique, ni par les principes fondateurs, ni même la doctrine et encore moins les programmes les deux partis, il est regrettable de voir à quel point l'opinion publique a été instrumentalisée et endoctrinée en vue de nuire sciemment aux acquis capitalisés par le destour unique dépositaire de la lutte anticoloniale. Pour l'histoire, il paraît opportun de rappeler que le destour est une émanation directe du Mouvement national tunisien qui est un mouvement sociopolitique né au début du 20e siècle. Il est issu directement d'expériences réformistes en parfaite cohérence avec celle initiée par Khair-Eddine Pacha à la deuxième moitié du 19e siècle et continuée par Béchir Sfar, Ali Bach Hamba et Abdeljalil Zaouche. Les jeunes Tunisiens militent pour la réhabilitation de l'identité tunisienne par la sauvegarde de son héritage culturel arabo-musulman, et la préservation de la personnalité de l'Etat tunisien. Ce mouvement a été un rassemblement de notables traditionnalistes (avocats, médecins ou journalistes). Il a adopté une stratégie alternant négociations et affrontements armés. Il regroupait essentiellement les membres de la classe moyenne de Tunis formés en France pour qui la culture tunisienne est le premier argument pour mettre en exergue l'originalité du pays et son rattachement aux valeurs dont la principale vise une meilleure éducation. Une nouvelle génération organisée autour d'Abdelaziz Thâalbi a permis de passer du réformisme culturel au réformisme politique et se préparer à la naissance du parti politique qui a vu le jour en 1920 : le Destour. En 1932, sous la houlette de Habib Bourguiba et avec la complicité d'un médecin et de trois autres avocats (El Materi, Tahar Sfar, Bahri Guiga et M'hamed Bourguiba), est fondé le néo-Destour. Ayant fondamentalement le même programme que le Destour, le Néo-Destour diffère sur les moyens à mettre en œuvre pour parvenir à ses fins car il a souvent recours à la violence. Il revendique clairement l'indépendance de la Tunisie. Celle-ci devient effective le 20 mars 1956. Jusqu'en 1963, date à laquelle le Destour devient un parti unique après avoir interdit le parti communiste tunisien et surtout après la découverte du complot contre Bourguiba en 1962, le néo-Destour n'a à aucun moment durant ces 7 années interdit aucune activité politique inscrite à son opposition. Ce n'est qu'à partir de 1964, date à laquelle le Néo-Destour se mua en Parti socialiste destourien, que l'amalgame entre parti au pouvoir et gouvernement est consommé. Cette situation perdurera jusqu'à l'avènement du Rassemblement constitutionnel démocratique de Ben Ali qui est un parti totalement hégémonique faisant office d'ascenseur social. Ce n'est qu'à partir de l'époque du Parti socialiste destourien du président Habib Bourguiba que la corruption a commencé à pointer son nez. Elle n'était pourtant l'apanage que de quelques personnalités politiques et d'une petite frange de fonctionnaires qui s'octroyaient des droits et des privilèges. Mais depuis 1988, date de la création du Rassemblement constitutionnel démocratique, la corruption a entamé un processus de «démocratisation». Elle a commencé, comme un venin, à couler du sommet à la base, grâce aux services de ce parti, organisé en réseau-pieuvre et qui n'a plus aucun lien avec le Destour. Ni de par la doctrine, ni de par l'idéologie et encore moins de par la probité des personnes qui en constituent l'essentiel de sa structure. En effet, les derniers destouriens en action ont fini par comprendre, non sans douleur ni amertume, le décalage entre l'idéal pour lequel ils ont milité de génération en génération et la vénalité de la nouvelle caste politique avide de biens mal acquis. Ils ont vite déchanté et se sont retirés de la scène politique avec pour la plupart une acrimonie, celle de ne pouvoir s'exprimer sans risquer gros d'un point de vue personnel, ce qui est un moindre mal, mais surtout d'un point de vue familial ! Rien ne pouvait arrêter Ben Ali et sa police politique quand il s'agissait d'écarter un gêneur quel qu'il soit. Tous les secteurs et toutes les couches sociales ont été touchés. La justice, la santé, l'administration, les banques, la finance, les médias, la culture, les sports, le marchand ambulant, le voisin, l'ami et même le frère. Doucement, la peur s'est installée parmi nous et y est restée, tout à son aise, en toute impunité. Beaucoup en étaient même arrivés à ne plus se mêler des affaires du pays au point d'y voir une preuve inédite d'intelligence. Aujourd'hui, il n'est plus permis de confondre entre d'une part le destourien, profondément imprégné par des valeurs nationalistes tunisiennes, portant des ambitions continuellement réformistes, musulmanes et en harmonie avec des valeurs d'ouverture et d'émancipation morale et intellectuelle. D'autre part, un ex RCD qui a porté les valeurs de corruption, de vénalité, de tricherie et de ségrégation sociale et a abouti, in fine, à la catastrophe socio-économique que nous vivons. Une chose est sûre, «cela n'est plus acceptable, plus jamais cela! ». Tiens, une phrase culte qu'on croyait classée dans les oubliettes de l'histoire depuis 1973 qui revient !