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«Promouvoir une approche participative des acteurs sociaux» Entretien avec : M.Jameleddine Gharbi, ministre du Développement régional et de la Planification
Quelle serait la nouvelle feuille de route de votre département, monsieur le ministre, pour réduire les disparités régionales et remédier à la fracture économique et sociale? Notre feuille de route repose sur des indicateurs chiffrés et des prévisions de planification. Cette année, l'on projette la réalisation d'un taux de croissance de 4,5% permettant une augmentation de notre PIB et du taux de croissance de l'investissement, devant passer de -8,7% en 2011 à 14,3% en 2012. De même, les prévisions misent sur une croissance au niveau des exportations, pour la faire passer d'un taux de croissance de -2,4% à 7% en 2012. Idem pour les importations, dont le taux de croissance devrait atteindre cette année 6,7% contre -2,8% en 2011. Pour les secteurs d'activités productives, nous prévoyons de faire croître la contribution des industries manufacturières au PIB de 3,2% en 2011 à 4,3% en 2012. Ce défi est d'autant plus important que pour les industries non manufacturières qui ont enregistré un taux de croissance négatif de -5,7%,nous prévoyons de porter ce taux à 4,1%. Quant au secteur des services, nous espérons augmenter son taux de croissance pour atteindre 5,3% cette année, contre 1,6% en 2011. Le secteur du tourisme n'est pas en reste, puisqu'on compte le rétablir pour atteindre un taux de croissance de 7% en 2012 contre -31% en 2011. C'est dire que le chiffre de 4,5% est un défi que nous souhaitons relever cette année. Ce taux signifie une reprise du taux de croissance nationale de l'économie, à une étape où le pays a enregistré, avant la révolution du 14 janvier, une augmentation du nombre des chômeurs de 500 à 800 mille. Le gouvernement projette de réaliser un taux de croissance de 4,5% en 2012, quelles seront vos estimations en matière de création d'emplois et d'affectation d'investissements publics et privés? Le taux de croissance de 4,5% permettra de créer 75 mille emplois en 2012. Et c'est le minimum qu'il faut réaliser avec l'objectif d'augmenter progressivement ce chiffre, ceci est étroitement lié à une restructuration de l'économie, une affectation de l'investissement privé et public, sachant que 1% de croissance engendre la création de 16 mille emplois. C'est un message très fort que le nouveau gouvernement veut transmettre à tous les acteurs économiques et tous les Tunisiens qui doivent être conscients du fait que réduire le taux de croissance, c'est réduire la création d'emplois potentiels et impacter négativement les investissements publics et privés. Il est opportun de rappeler qu'une enveloppe de 7 mille millions de dinars qui a été mobilisée par des emprunts étrangers pour réaliser des investissements publics, des projets structurants pour l'économie tunisienne en vue de promouvoir la qualité de la vie et renforcer les équipements collectifs, montant déjà affecté, n'a pas été utilisé à cause de l'instabilité sociale observée depuis des mois dans le pays. Instabilité due à la fermeture consécutive de plusieurs entreprises où des projets ont été suspendus et mis en instance. Cela ne peut qu'entraver la concrétisation des objectifs de la révolution. Dans quelle mesure partageriez-vous, monsieur le ministre, l'idée selon laquelle la politique de développement régionale devrait essentiellement être fondée sur la capacité et la responsabilité de chaque région à bâtir son propre développement économique et social ? Notre département a opté pour une vision participative basée sur une approche décentralisée. Nous avons déjà programmé la création au niveau de chaque gouvernorat d'un comité de développement régional. Un comité composé de représentants de ce gouvernorat dans l'Assemblée constituante, de la société civile, des associations, des structures régionales et locales de développement, du secteur privé impliqués dans les projets de développement... Ce comité sera chargé d'identifier les projets prioritaires au sein de la région et a la responsabilité de suivre et d'évaluer la mise en œuvre de ces projets. La décision de créer ces comités vient à point nommé confirmer la démarche adoptée par le ministère de tutelle qui veut donner toute la latitude aux instances locales pour choisir et identifier les projets appropriés. Nous voulons éviter que le ministère de tutelle prenne le monopole , et donner par conséquent la possibilité aux acteurs sociaux (en termes de structures telles que l'Utica, l'Ugtt...) à participer dans ces décisions et à concevoir un fil conducteur d'une vision commune et prospective à moyen et long termes. A l'échelle nationale, on a créé un conseil national de développement qui réfléchira sur les questions liées au développement des régions et sur les plans stratégiques élaborés à moyen terme, le mode de structuration de notre économie, le schéma de croissance et la politique intégrée du développement économique et social. Dans ce conseil seront représentés la Constituante avec un comité de finance, de planification et de développement, les associations nationales de développement, les structures nationales (Utica, Ugtt), toutes les compétences tunisiennes des secteurs public et privé ainsi que les universitaires. Notre département prévoit l'organisation le 19 janvier prochain d'un atelier de travail avec la collaboration du conseil, qui traitera de deux questions fondamentales : comment reconstruire notre structure économique pour qu'elle ait un avantage compétitif international, un positionnement qui lui permette d'être un pôle d'excellence dans certains secteurs et la faire passer d'une économie de services dans le sens de la sous-traitance à une économie qui ne serait plus considérée comme une périphérie dépendante et déterminée par les choix des pôles étrangers. Deuxièmement, l'atelier examinera la clé de répartition qu'on doit adopter actuellement pour affecter les ressources, les budgets où les investissements de l'Etat entre les différentes régions. La question qui se pose, comment cette clé devrait intégrer des indicateurs objectifs et concrets qui reflètent les besoins des régions et leur niveau de développement actuel, à savoir le taux de pauvreté, de chômage, la disponibilité de l'infrastructure économique, des équipements collectifs et sociaux et la richesse du tissu économique. A l'évidence, la concrétisation des objectifs de la révolution nécessite l'institution d'une manière définitive de nouveaux critères de distribution équitable au sein des régions elles mêmes en prenant en considération les besoins réels des régions afin de réaliser un développement régional équitable et équilibré. Il s'agit de réaliser d'une manière consensuelle et collégiale l'objectif de la clé de répartition quantifiée, scientifique et de la bonne gouvernance. Comment appréciez-vous, monsieur le ministre, l'idée d'un nouveau découpage de notre territoire en grandes régions pour bénéficier des effets d'entraînement ? Parallèlement à la création des comités et du conseil national de développement régional, on vient de lancer l'organisation d'une consultation nationale sur le développement régional axée sur deux volets : l'identification des projets prioritaires et la participation à la réalisation de l'arbitrage. Cette consultation sera achevée fin janvier. Notre nouvelle vision du développement régional n'est autre que de promouvoir l'approche participative des acteurs sociaux en leur ouvrant de nouveaux horizons pour intervenir à chaque fois qu'il y a des problèmes de fond, renforcer leurs actions et appuyer leurs plans de développement appropriés. Chaque région possède un ensemble d'avantages comparatifs en termes de ressources, de patrimoine culturel compétitif, de potentialités, de différenciation et de suprématie. La question est dès lors de savoir de quelle manière créer de la valeur, des postes d'emploi, de la richesse sur la base des atouts propres à chaque région. Comment ces régions peuvent- elles développer des sites économiques intégrés qui les amènent à exploiter efficacement ces ressources dans une chaîne de valeur complète (de la matière première au produit fini), comment peut-on transformer ces ressources localement et les industrialiser au sein des régions? Autant de questions qui se posent et qui trouvent leur réponse dans l'approfondissement de la réflexion sur l'intégrité, la synergie entre les filières économiques et dans le développement d'une stratégie de développement locale. Une stratégie qui précise quels sont les secteurs prioritaires et les filières économiques avec lesquels la région aura un avantage comparatif national et international. Il faut, par ailleurs, transformer les zones frontalières, car elles constituent une source d'avantage comparatif, de richesse inestimable qu'il faut consolider à travers l'établissement de partenariats avec les investisseurs tunisiens et étrangers (essentiellement libyens et algériens). L'objectif est de valoriser ces zones frontalières en les dotant des infrastructures nécessaires et les transformer en des pôles d'attractivité pour les investisseurs tunisiens et étrangers. On ne cesse donc de le rappeler, le développement ne doit pas être réalisé uniquement par le gouvernement et l'administration, mais par d'autres acteurs et catalyseurs afin de dynamiser l'économie tunisienne . Nous devons travailler en synergie et en collaboration avec les autres structures et partenaires tout en renforçant leurs capacités d'agir, de réfléchir et de suivre. La Tunisie a fait une révolution. Elle a réussi au niveau politique à élire une Assemblée constituante et a organisé des élections dans la transparence totale. Le défi aujourd'hui est de réaliser la croissance et la relance économique à travers une répartition équitable de notre richesse. Nul ne peut nier aujourd'hui que la valeur de la démocratie ne peut réussir que dans une économie de richesses, dans la prospérité, les deux vont de pair. Il faut que nous gagnions la bataille de la richesse sinon ce sera le retour au colonialisme.