Par Zouheïr El KADHI (Docteur en économie) Le chômage est comme le cancer, pernicieux, tenace et mortel. Les gouvernements successifs sont comme les médecins, pour l'instant impuissants à guérir le mal. Ils ont beaucoup parlé, beaucoup promis à propos du chômage. La réalité est qu'aucune stratégie cohérente n'a été proposée pour vaincre le mal. Et on se demande si le gouvernement est capable de définir le contenu d'une politique globale de l'emploi ? On peut en douter, si l'on écoute le ministre de la Formation professionnelle et de l'Emploi. Rappelons-nous une fois encore les mots célèbres de Sénèque : «Il n'est pas de vent favorable pour celui qui ne sait où il va». Peut-être le premier pas est-il de bien comprendre que s'il y a du chômage, c'est parce que les entreprises ne veulent pas embaucher plus. Mauvaises perspectives de croissance et un climat d'incertitude économique et politique sont les explications principales de la hausse du chômage. Le personnel coûte cher en salaires et en charges. Il faut le rémunérer tous les mois. Il faut lui assurer la stabilité de l'emploi. Tant que la croissance paraissait garantie et régulière, l'embauche allait de soi. Mais chat échaudé craint l'eau froide, et depuis le soulèvement populaire, les chefs d'entreprise sont devenus plus circonspects, peut-être tout simplement plus rigoureux. Face à un sombre début d'année et devant les incertitudes de l'avenir, la prudence a remplacé l'initiative. Les projets sortent lentement des tiroirs. La cause profonde du chômage n'est pas le manque de projets, mais plutôt le blocage de l'initiative. Et si l'année 2011 a été marquée par un ralentissement, il n'est pas si certain que la Tunisie échappera à la récession cette année. Dans ce climat d'incertitude et faute d'absence d'une politique de lutte contre le chômage, il est plus sage et plus prudent d'éviter au moins quelques pièges. Le premier piège est celui des «emplois publics». Il n'est pas inutile de rappeler qu'on ne pourra jamais ramasser la neige avec une cuillère. Par analogie, on ne peut pas résoudre le problème du chômage par la création d'emplois dans la fonction publique. En effet, une politique d'action sociale, si elle est souhaitable, ne doit pas être menée en hypothéquant l'avenir. Faire du social en se servant de la fonction publique, c'est, en effet, jouer avec l'avenir du pays. De plus, les emplois de l'administration sont particulièrement prisés. L'ouverture de concours administratifs attire des personnes qui n'étaient pas présentes sur le marché du travail de sorte que la création d'emplois publics ne diminue que très peu le chômage. Comme il faut en outre prélever des impôts pour rémunérer les nouveaux fonctionnaires et comme les impôts supplémentaires pèsent sur l'activité et sur l'emploi, le bilan économique de la création d'emplois dans l'administration a toutes chances de s'avérer négatif. Le bon sens fait qu'il est plus rigoureux de proposer une réforme courageuse de la fonction publique au lieu de l'asphyxier par des fonctionnaires, dont elle n'a parfois point besoin. Les fonctionnaires tunisiens coûtent cher pour une efficacité souvent discutable. Il est inutile d'augmenter leur nombre, il faut d'abord mieux les employer. Le deuxième piège serait de chercher «à forcer» l'emploi. Les entreprises, fortement sollicitées par les pouvoirs publics, à recruter du personnel en attendant le «bout du tunnel». Dans plusieurs domaines, les entreprises sont appelées à embaucher. Mais ne soyons pas dupes. Aujourd'hui, aucun chef d'entreprise ne voudra faire face à un sureffectif, car il y a des relations nécessaires entre le taux de croissance de l'économie, la productivité, l'emploi, la durée du travail, les prix et les salaires. Dans l'équation Emploi-Croissance, pour une croissance moins forte, si on augmente l'emploi, c'est la productivité qui diminue. Et dans l'équation Prix-Salaires, moins de productivité donne plus de prix. D'où moins de compétitivité, moins d'exportations, et en définitive, moins d'emplois. En définitive, il faut bien garder à l'esprit qu'il n'y a pas de miracles : on ne peut offrir que ce qui est demandé sur le marché, on ne peut partager que ce qui a été préalablement gagné; on ne peut pas multiplier les emplois improductifs. Le troisième piège est celui de «la TVA sociale». De nombreuses voix se sont élevées ces derniers temps pour réclamer la mise en place d'une TVA sociale comme solution pour lutter contre le chômage. A terme, l'idée peut paraître séduisante, mais à très court terme elle serait coûteuse et inefficace. Rappelons d'abord que le principe de TVA sociale est de transférer une partie des charges sociales sur l'impôt indirect. Cette mesure présente toutefois plusieurs inconvénients. D'une part, rien ne garantit que sa mise en place profite réellement à l'emploi : elle peut fort bien être confisquée comme d'ailleurs les incitations fiscales. Comme dit un vieux proverbe anglais : «On peut mener un cheval à l'eau mais on ne peut pas le forcer à boire». De plus, les dirigeants de nos entreprises considèrent souvent le travail comme un coût qu'il faut minimiser. D'autre part, ce mécanisme induira inéluctablement une hausse des prix, une baisse du pouvoir d'achat et risque de déclencher la spirale prix-salaires. Ceci aura comme conséquence de pénaliser les ménages les plus défavorisés, ces derniers ayant une propension à consommer plus forte relativement à leur revenu.