De notre envoyé spécial à Lyon Anis SOUADI Le contexte énergétique actuel, ses enjeux et défis, mais surtout la nécessité d'une transition énergétique rapide et efficace, a constitué l'un des axes prioritaires du forum francophone de Lyon, aussi bien lors des ateliers préparatoires que tout au long de ses travaux. Tout à fait légitime du fait que l'énergie ou plutôt l'efficacité énergétique a été et restera sans aucun doute l'un des fondamentaux stratégiques de tout processus de développement durable. Toutefois, pour Dr Yamina Saheb, de l'Agence internationale de l'énergie (AIE), cette efficacité et cette transition énergétique ne sont certainement pas pour demain. Un pessimisme qu'elle pense fondé, surtout en tenant compte des défis et autres tendances inquiétantes qui ont marqué ces dernières années, notamment en 2011. On pense surtout à la crise économique internationale et européenne qui a limité les possibilités d'interventions des gouvernements ou encore à l'accident de Fukushima qui s'est traduit rapidement par une incertitude totale sur l'avenir du nucléaire. On pense également au printemps arabe qui a bouleversé significativement les plans d'investissement dans la région. D'ailleurs, les différents indicateurs disponibles justifient nettement le pessimisme de Yamina Saheb. En effet, les émissions de CO2 ont atteint des records, l'efficacité énergétique de l'économie globale est à son plus bas niveau pour la deuxième année consécutive, alors que les dépenses dans les énergies fossiles sont proches de leur record historique. Autant d'indicateurs qui imposent, selon Yamina Saheb, une réaction immédiate et collective. L'experte relève dans ce même contexte que l'Agence internationale de l'énergie a étudié tous les scénarios, même les plus insensés, comme c'est le cas pour le scénario tendanciel, qui consiste à suivre les tendances sans intervenir. Un tel scénario ne tarderait pas de compliquer largement la situation actuelle, surtout si l'on tient compte de l'évolution prévue sur le marché international au cours de la prochaine étape. Justement, les projections de l'AIE montrent que le gaz naturel et les énergies renouvelables devraient satisfaire seulement 2/3 de la demande énergétique d'ici 2035. De même, la demande énergétique globale augmenterait d'un tiers d'ici 2035, alors que 90% de cette augmentation se produiront dans les pays hors Ocde. En parallèle, en 2035, le nombre de voitures individuelles serait de 1,7 milliard, alors qu'en 2020, les ventes seraient plus importantes dans les pays hors Ocde. Mais ce qui est encore plus significatif, c'est la contribution considérable, ces dernières années, du charbon au bouquet énergétique global. D'ailleurs, selon les statistiques disponibles, les 50% de la demande énergétique de la décennie précédente ont été satisfaits par le charbon, ce qui laisse prévoir une augmentation de la demande dans les pays émergents. Ainsi, l'AIE estime que le marché international ainsi que le prix du charbon devraient être particulièrement sensibles au développement économique en Inde et en Chine. D'ailleurs, à partir de 2020, l'Inde serait le plus grand importateur de charbon. Yamina Saheb va encore plus loin. Pour elle, même un report d'intervention aurait des conséquences graves. Elle relève ainsi que le report de l'action jusqu'en 2015 seulement réduirait les investissements jusqu'en 2020, mais pour chaque dollar économisé, 4,3 dollars supplémentaires devraient être dépensés sur la période 2021-2035 pour compenser. D'un autre côté, et en l'absence de réaction et de nouvelles politiques, les émissions de CO2 cumulées à partir d'aujourd'hui dépasseraient, en 2035, de trois quarts le total des émissions depuis 1900, alors que les émissions par habitant en Chine avoisineraient la moyenne des pays de l'Ocde. Autre scénario, «moins de nucléaire», et qui examine les conséquences de la réduction de la production nucléaire de la moitié. Certes, un tel scénario encourage les énergies renouvelables, mais augmente en même temps la facture des importations, réduit la diversité du bouquet énergétique (multiplication de la demande en charbon par deux et augmentation de la demande en gaz naturel de deux tiers) et renforce le risque climatique et les émissions de CO2. On parle également de conséquences graves pour les pays importateurs nets d'énergie et dont le bouquet énergétique repose principalement sur le nucléaire. Sans parler du fait que les gaz naturels non conventionnels fourniraient 40% de la demande globale d'énergie, ce qui aura un impact certain sur l'environnement et donc sur le processus de développement durable. En somme, Mme Saheb pense que seules des réactions bien réfléchies adossées à des politiques efficaces sont en mesure de primer. En effet, face à l'augmentation de la demande énergétique, en raison surtout de l'évolution de la population, il est absolument nécessaire de miser totalement sur l'efficacité énergétique, car, soutient-elle, «la seule énergie qui ne coûte pas est celle qu'on ne consomme pas». Mieux encore, l'efficacité énergétique constitue un élément incontournable dans le processus de développement durable, puisqu'elle est en mesure de contribuer de 50% dans la réduction du CO2. D'un autre côté, il est nécessaire de miser sur l'investissement, car «reporter les investissements d'aujourd'hui nous coûtera plus cher demain».