Maintenant, personne ne me contredira : c'est le printemps. Et si jamais pluies, vents et même neige reviennent, alors on pourra reprendre à notre compte la sentence de nos aïeux : c'est la fin des temps ! Tournons la page. C'est donc le printemps et c'est le moment que j'attendais depuis longtemps pour retourner à Zaouiet El Maggayez. Si vous êtes des familiers du versant nord du Cap Bon, pour vous rendre, par exemple, de Soliman à El Haouaria, vous ne pouvez pas ne pas traverser cette moche localité qui s'étire des deux côtés de la nationale qui la traverse. Vous voulez un repère ? Une mosquée à l'entrée de la ville qui aurait pu être mignonne si elle n'avait été affublée d'un minaret disproportionné et, surtout, exécuté en véritable jeu de légo avec superposition de tranches de formes géométriques différentes (carré, octogone, cylindre etc.) censées représenter dans la tête d'un tâcheron métamorphosé en architecte la synthèse des différents types de minarets présents ici et ailleurs. Et véritable monument de mauvais goût. Et dire qu'on a laissé commettre une telle offense au bon goût et aux traditions de l'architecture sacrée dans notre pays. Pire, cette horreur a été clonée ailleurs au Cap Bon, probablement d'autres nuisances du même auteur. Mais ce n'est pas pour ça que je vous convie à Zaouiet El Maggayez. C'est pour un petit trésor – ou ce qu'il en reste —, pudiquement retiré des voies de passages automobiles. L'ancienne Zaouia. Nous nous y sommes déjà rendus, il y a de cela plusieurs années. Elle était alors nettement séparée du bourg moderne par une petite ceinture de verdure. Aujourd'hui, le bâti leur a fait faire la jonction, hélas, trois fois hélas, car le mauvais qui prévaut côté cour s'insinue pernicieusement côté jardin. C'est, paraît-il, le tribut de la modernité. Alors, le moyen le plus pratique pour parvenir à Zaouia l'ancien est d'emprunter, à droite, la rue qui longe la mosquée, précisément au pied de son chef-d'œuvre de minaret. Vous débouchez rapidement sur un terrain vague qui tient lieu de place. Vous vous y garez et, à partir de là, allez à pied à la découverte de ce bijou (ou, encore une fois, ce qu'il en reste). La localité tire son nom du sanctuaire d'un saint personnage qui a vécu ici au XIXe siècle : Sidi Ahmed el Maggayez. Son intérêt réside dans son organisation spatiale (qui, hélas, trois fois hélas, est en train de s'effilocher) et dans l'architecture qui est typique du style vernaculaire capbonais aujourd'hui pratiquement disparu partout ailleurs. Le village est assez étendu. S'il est marqué du sceau de la ruralité avec cette campagne toujours présente, l'aménagement des intérieurs, même les plus «bourgeois», qui réservent des espaces aux activités agricoles et d'élevage, il n'en porte pas moins l'empreinte d'un raffinement tout urbain, tel qu'il se manifeste dans les résidences à deux niveaux, la forme et l'encadrement des entrées des demeures anciennes faits de bois travaillé et de pierres de taille. Le village dispose aussi de ses espaces publics, placettes, cafés, minoterie, sans parler évidemment de ses multiples petits commerces de proximité. Une tournée dans les dédales de Zaouiet El Maggayez amène irrésistiblement à établir un lien avec Sidi Bou Saïd, au nord de la capitale. Il en a l'authenticité et le charme. Malheureusement, il n'a pas su susciter l'engouement susceptible d'en assurer l'entretien et la pérennité. Bien que légèrement éloigné de la mer (qui n'est qu'à quelques centaines de mètres de là), il aurait pu (et pourrait encore) se transformer en station touristique de standing, à condition de savoir en préserver le cachet propre et de protéger son environnement. Pour cela, il faudrait engager une action de sensibilisation auprès de la population demeurée sur place, l'inciter à conserver et à entretenir ce précieux capital et lui fournir conseil et assistance matérielles pour l'exploiter de manière judicieuse. Dans l'état actuel des choses, il importe que des citoyens s'organisent en association pour parer au plus urgent en matière de conservation et d'entretien et pour explorer ensuite les voies d'une réhabilitation salvatrice. Cela urge !