Depuis samedi dernier, la danse et l'expression corporelle sont de rigueur à Mad'art. Cette nouvelle édition des rencontres autour du corps renoue encore une fois avec la création, à travers diverses pièces chorégraphiques qui montrent le discours subtil et physique des formes et des mouvements, des corps d'artistes vibrants, militants et résistants à la laideur et à l'obscurantisme. «La danse est, aujourd'hui et plus que jamais, un défi, un coup de gueule, une résistance du citoyen artiste qui travaille à la réconciliation de l'individu avec lui-même et avec son environnement. Elle est l'expression de l'identité multiple, complexe et libre de l'artiste. Elle est la résistance à l'obscurantisme qui honnit le corps et qui veut l'effacer. C'est aussi un hommage au corps immolé, torturé, violé, châtié, emprisonné, blessé, muselé... pris en otage», déclare la comédienne Raja Ben Ammar, organisatrice des rencontres et directrice de Mad'art. Le spectacle d'ouverture fut très «british». Le journal britannique The Guardian l'a, d'ailleurs, qualifié de : communication humaine à une vitesse virtuelle...» et d'«exaltant et drôle». Si vous vous êtes un jour demandé si la communication électronique est en dichotomie avec l'essence même de notre humanité, alors le spectacle «a lot of love» (LOL ou Beaucoup d'amour) de la troupe Protein, dirigée par Luca Silvestrini (détenteur de nombreux prix internationaux), nous donne une réponse originale et drôle. Et de scène en scène, à travers les pays arabes et faisant escale chez nous, il nous renvoie une réflexion sur l'humain à l'ère du digital, voire du virtuel. Passer d'une première à une deuxième vie, entre le réel et un idéal de soi, LOL pénètre dans la vie de six personnes emprisonnées dans leur monde d'aspirations, de désir et de réflexion de leurs images virtuelles dont manifestement, elles ne peuvent se libérer. Les caractères racontent leurs préoccupations et confondent leurs vies électroniques, au point que cela devient progressivement gênant et incontrôlable. Avec une vidéo projection de Rachel Davies sur une musique d'Andy Pink, LOL oscille entre les promesses d'une vie virtuelle et la complexité des relations réelles pour mettre amour, désir et connexion au centre de la scène de danse. Le deuxième rendez-vous de «Danser à Tunis» fut un Work in progress «Rayah Zone» de Hédi et Ali Thabet. Dans un décor pas encore fini, les deux chorégraphes nous ont offert la primeur de leur travail en cours de fignolage. Outre leur performance physique et l'émotion que leurs deux corps, si fusionnels et si complémentaires, suscitent, la proposition des frères Thabet a provoqué l'intérêt et l'attention du public présent. Rayah Zone se veut une immersion dans un univers soufi où le corps et la voix sont les seuls protagonistes. Les mouvements sont fluides, tantôt énergiques, tantôt violents. Hédi et Ali nous offrent un rendu d'un patrimoine commun à nous tous, celui des processions, de la transe et du rythme précis et uniforme de la percussion. Sachant que tout un travail sur la bande sonore est en cours de réalisation, que le décor n'est pas tout à fait fini et que l'éclairage et les costumes ne sont pas encore au point, une réelle critique ne peut point se faire, mais nous pouvons, d'ores et déjà dire que Rayah Zone est un travail qui augure, et que malgré tous les éléments scéniques manquants, les deux frères Thabet ont réussi à faire vibrer le public, à le toucher sur une corde sensible et à lui donner envie de revenir découvrir le spectacle une fois tout à fait fini.