Par Rejeb ELLOUMI* La Tunisie post-révolution doit sauvegarder ses acquis, les considérer et aspirer aussi à de grandes réformes socioculturelles, économiques et politiques (système éducatif, Fonction publique, sécurité sociale, législation du travail, gouvernance, système de planification à moyen et long terme etc...) basées sur le respect, la liberté et la démocratie. A ce niveau, la réforme de notre système fiscal doit être placée au cœur des préoccupations économiques. Au-delà des enjeux économiques, cette réforme doit intégrer la diffusion de la culture fiscale et du devoir fiscal à tous les niveaux, la modernisation du système fiscal, ainsi que l'impératif de lutte contre la fraude fiscale. A titre de contribution à la réflexion sur la réforme, je suggère les propositions suivantes : • La diminution de la pression fiscale et sociale Partant de l'adage selon lequel « les taux tuent les totaux», la réduction de l'impôt sur les bénéfices permettra aux entreprises d'alléger leur charge fiscale, d'être plus compétitives et de réinvestir les économies d'impôts dans des projets créateurs d'emplois. La diminution du taux d'impôt sur les sociétés doit s'accompagner d'une baisse du minimum d'impôt. Il demeure entendu qu'il convient en parallèle de réviser le système des avantages fiscaux et de rendre notre droit commun plus attractif. Aussi, une diminution de l'Irpp pour les salariés aurait certainement un effet positif sur le pouvoir d'achat et améliorerait l'équité entre contribuables. Pour la diminution des impôts indirects, les assiettes méritent d'être revues afin d'en exclure les taxes (ex. l'assiette de la TVA comprend d'autres impôts indirects). Il faut penser à permettre aux personnes physiques et morales de pouvoir obtenir des réductions d'impôts lorsqu'elles participent aux efforts de l'Etat dans le domaine social et culturel. Il faut penser également à encourager les projets sociaux, culturels et touristiques en raison de leur rôle important dans le développement des ressources, la création d'emplois et particulièrement la conservation de nos monuments historiques et notre cher patrimoine ainsi que le soutien de l'entreprise citoyenne proche de son environnement. • La remise en cause des critères de sélection de la mise en vérification des dossiers fiscaux Nous avons longtemps constaté que le contrôle fiscal cible les groupes de sociétés qui sont généralement transparents. Ne serait-il pas plus judicieux d'axer le contrôle fiscal vers les secteurs connus par la prédominance de la fraude (tels que les faux forfaitaires) et de mettre en place une sélection mécanisée des dossiers à contrôler (par exemple, en se basant sur les distorsions de marge observées dans les déclarations annuelles). Il convient aussi de veiller à éviter les chefs de redressement non fondés (ex : minoration du chiffre d'affaires) qui touchent à la crédibilité des administrateurs et des commissaires aux comptes surtout dans les entreprises transparentes. Il est temps à mon avis que le contrôle fiscal passe d'un instrument au service de la politique pour être un moyen d'équilibre économique afin de combattre la fraude et la concurrence déloyale. La fiscalité sera alors au service du développement économique. • Le contentieux fiscal Il est certain que le contentieux fiscal constitue actuellement un fardeau pour l'Etat et pour le contribuable aussi. Dans ce cadre et pour nettoyer et alléger cette charge, je propose de revoir tous les dossiers du contentieux fiscal basés sur des mauvaises interprétations et qui coûtent cher aussi bien pour l'Etat que pour les contribuables et ceci en raisonnant selon le principe comptable avantages, coûts afin de liquider tous les contentieux et commencer une nouvelle étape basée sur la transparence et la confiance. • La généralisation de la TVA La généralisation de la TVA accompagnée d'une réduction des taux peut constituer une réponse efficace à la fraude fiscale. D'un autre côté, la suppression pure et simple du système des exonérations en matière de TVA et son remplacement par un régime d'imposition à taux d'équilibre permettra de généraliser la TVA à toute l'économie et d'éviter toute rupture dans la chaîne des déductions. Elle permettra un rehaussement de la masse imposable en matières d'impôts directs puisqu'il n'y aura plus de TVA rémanente. Cette dernière, qui était incorporée aux coûts et passée en charges grevant le résultat fiscal, deviendra une taxe neutre après la suppression des exonérations. Grâce à la généralisation de la TVA, les faux forfaitaires qui se cachent derrière le régime des exonérations pourront être facilement détectés et déclassés vers le régime réel, ce qui permettra une imposition plus juste et plus équitable des revenus réalisés par de tels contribuables. La généralisation de la TVA permettra l'adhésion des forfaitaires dans le système de transparence et permettra aussi d'orienter ces contribuables vers une bonne gestion fiscale basée sur les avantages fiscaux accordés aux investisseurs. En outre, cette généralisation de la TVA, et par conséquent le fait de réserver le régime du forfait d'impôt aux seuls véritables forfaitaires, protégera les entreprises transparentes de la concurrence déloyale et du secteur informel et les incitera à se développer davantage et à s'introduire dans le marché financier. Elle permettra de développer le marché des services liés à l'entreprise (comptabilité, conseil, formation, etc.) et épargnera aux entreprises transparentes le risque imputable à la confusion entre régime suspensif et régime d'exonérations. En outre, la réduction des taux (ex. de 18% à 12% et de 12% à 6%) permettra d'augmenter la recette par l'élargissement de l'assiette imposable à l'impôt direct et l'instauration de la transparence dans les transactions. • Le renforcement des sanctions pécuniaires pour fraude fiscale La lutte contre la fraude fiscale implique la remise en cause de certaines sanctions jugées indulgentes vis à-vis des contribuables qui ne respectent pas leurs obligations déclaratives. Je citerais à titre d'exemple les dispositions de l'article 23 de la loi de finances de 2009 qui ont prévu l'exonération du montant d'impôt exigible suite à une vérification fiscale approfondie de la pénalité de retard prévue par l'article 82 du Cdpf, et ce, dans la limite du crédit d'impôt confirmé par l'administration fiscale ou par les tribunaux en vertu de jugements ayant acquis la force de la chose jugée et relatifs à la même vérification. En effet, et à cause de ces dispositions, le coût de la fraude est devenu inférieur au coût de la dette bancaire. Autrement dit, le contribuable disposant d'un crédit chronique d'import ne devra pas être tenté de frauder étant donné qu'il n'aura pas à payer des pénalités de retard en cas de contrôle fiscal. La réponse à donner à l'accumulation des crédits d'impôt ne devra pas prendre la forme d'une réduction des pénalités de retard, mais consistera plutôt à trouver les vrais remèdes au problème. Il pourrait s'agir de la révision des mécanismes de retenue à la source et d'avances ou de l'institution d'un mécanisme de compensation entre les différents impôts pour permettre aux entreprises d'absorber rapidement les crédits d'impôt en évitant le recours à l'endettement qui finance ces crédits. • Le renforcement des garanties et droits des entreprises Toute réforme doit permettre de renforcer les garanties et droits des entreprises qui adhèrent volontairement dans une stratégie de transparence fiscale. A ce propos, il faut revoir la date butoir de restitution fixée par l'article 28 du Cdpf à 3 ans ; délai au-delà duquel, les impôts deviennent rapportables et non restituables. Cette mesure est non seulement néfaste pour l'équilibre financier des entreprises, mais fragilise la confiance de celles-ci dans tout système fiscal. Il faut aussi sécuriser les contribuables dont la comptabilité est régulière et sincère en leur autorisant le report illimité des déficits et en leur épargnant toute reconstitution extracomptables des bases imposables. En effet, une comptabilité régulière ne peut pas cohabiter avec une fraude fiscale. Le recours à l'extracomptable devrait être réservé aux seuls cas où la comptabilité serait absente ou rejetée. • La simplification de la norme fiscale L'adhésion volontaire des contribuables au système fiscal suppose la simplification de la norme fiscale. En effet, la complexité est un facteur favorable à la fraude parce que d'une part, une règle fiscale simple ne se pr La simplification implique également la révision de certains régimes qui ont démontré leurs limites afin de les dynamiser (ex. le système de la détaxe en matière de la TVA ou encore le système de stock options). Aussi la révision du système de facturation de la TVA pour les services réalisés avec les non-résidents et la retenue à la source pour les groupements qui reste restituable sans délai précis au niveau du groupement et non transférable aux partenaires. En guise de conclusion, la réussite de toute réforme fiscale suppose que le contribuable consente à l'impôt et qu'il soit convaincu de la bonne utilisation des ressources fiscales. Elle repose aussi sur l'association entre les secteurs publics et privés et sur l'implication de toutes les compétences professionnelles privées et publiques, et ce par : - La création d'un conseil supérieur regroupant toutes les professions de conseil liées à l'entreprise (économistes, conseillers fiscaux, avocats, comptables, experts-comptables...) pour réfléchir ensemble sur le développement de ces professions et instaurer l'obligation de formation continue et leur faire bénéficier du programme de mise à niveau pour leur permettre une certification internationale des services rendus. - La création d'un conseil supérieur indépendant regroupant des compétences du secteur public et privé qui aura pour mission de réfléchir sur le développement du système fiscal, garantir la sécurité juridique, diffuser la culture fiscale et le droit des affaires et instaurer la confiance entre administration et acteurs économiques. Ce qui pourrait constituer un cadre adéquat pour garantir cette association et pour approfondir les études sur l'impact des mesures fiscales sur les entreprises et sur le budget de l'Etat.