Par Zouhair El Kadhi (Docteur en économie) Nul n'en doute : la croissance économique contribue au développement mais ne le garantit pas. La croissance ne saurait donc être une fin en soi si elle ne débouche pas sur le développement. Elle peut, en effet, ne pas se suffire pour engendrer le développement qui se caractérise non par l'augmentation des quantités produites mais par l'amélioration des conditions de vie de la population dans tout ce que cela implique. Autrement dit, s'en remettre uniquement à la croissance pour espérer améliorer les choses serait dramatiquement insuffisant, voire trompeur. L'expérience de la Tunisie vient à l'appui de ce constat. En effet, le soulèvement populaire du 14 janvier 2011 est venu rappeler que le modèle tunisien, régulièrement cité comme exemple, a atteint ses limites. Ce constat d'échec résulte d'un système d'injustices sociales et d'inégalités grandissantes qui a produit de trop nombreux laissés pour compte et d'exclus. Aujourd'hui, il nous faut ne pas reproduire les mêmes erreurs mais élaborer de nouveaux business models du futur ainsi qu'une nouvelle politique sociale fondée sur un équilibre entre prospérité économique et justice sociale. L'un des principaux défis politiques des années à venir sera donc de donner une nouvelle orientation et un nouveau souffle à notre politique sociale. En effet, malgré des replâtrages successifs, la redistribution demeure relativement inefficace. Les prélèvements sont, en effet, importants alors que beaucoup de nos concitoyens mènent une vie extrêmement difficile. Il résulte de tout cela un dysfonctionnement de l'économie dont le chômage élevé reste un signe évident et inacceptable. Quelle politique sociale ? Reconnaissons d'abord que le défi de justice sociale nécessite de mettre l'économie au service de la lutte contre la précarité, la pauvreté et la promotion du développement humain. Dans cette perspective, une nouvelle politique sociale doit éviter deux écueils : le premier est d'ignorer les contraintes macroéconomiques et de croire que la volonté politique peut suffire. L'autre écueil consiste à privilégier l'efficacité économique en faisant du social un simple sous-produit de l'économique. A court terme, et sans aucune stratégie claire, le gouvernement en place tente tant bien que mal de contenir les vagues protestataires par des actions sociales. Toutefois, ces actions pourraient ne pas pouvoir être prolongées au risque d'obérer les finances publiques. Nul doute que l'assistanat n'est pas efficace à terme et ne ferait qu'amplifier le malaise économique que traverse actuellement notre économie s'il devait être maintenu trop longtemps. La richesse économique ne se décrète pas et demeure tributaire en grande partie de l'emploi productif. L'intuition courante est qu'une politique sociale de distribution des avantages ne rend jamais ses citoyens plus riches. Une telle politique ne fait en fait que redistribuer la richesse déjà créée. Il est donc fort à craindre que si les citoyens s'habituent à dépendre de la redistribution, le travail productif ne peut qu'être découragé et la réelle création de richesse en souffrira. L'économie ne pourrait guère résister et se piéger dans une trappe à stagnation au fur et à mesure que le nombre des citoyens dépendants augmente et que le nombre de travailleurs productifs diminue. Un tel scénario pourrait nous engager dans un cercle vicieux infernal : plus de dépendants, plus de dette, moins de croissance, moins d'emplois, plus d'injustices, plus de déficit et à nouveau plus de dette. Quel contrat social? Pour l'avenir, un nouveau contrat social nécessite une vision globale du développement. Cette vision stratégique doit être appuyée politiquement et fondée sur des politiques économiques clairvoyantes. Partant de ce choix, on peut imaginer un contrat social autour de quatre axes : • Autant d'Etat que nécessaire : en effet, l'Etat doit jouer le rôle de promoteur et de garant du contrat social. Il doit intervenir là où le marché fait défaut pour prendre en compte les intérêts à long terme : l'environnement, l'urbanisme, l'éducation, la santé et la famille. C'est à l'Etat et non aux entreprises d'assurer l'équité de la redistribution sociale tout en étant capable de maîtriser les déficits publics. • Autant de marché que possible. Nul n'ignore aujourd'hui qu'il faut tout d'abord créer de la richesse pour pouvoir ensuite la distribuer. Dans cet ordre d'idée, il faut plus d'économie de marché dans les monopoles de service publics, comme l'éducation ou les transports pour améliorer leur efficacité. • Participation active des différentes composantes de la société (associations, syndicats, partis politiques ...etc). • Des institutions solides de contrôle et d'évaluation des politiques économiques et sociales. En effet, il est largement admis aujourd'hui que l'un des leviers d'une croissance durable est la justice sociale dans le cadre d'une approche pragmatique et non idéologique. Pour cela, le gouvernement devrait procéder à un audit et une évaluation exhaustive de tous les services sociaux rendus par l'Etat. Pour chaque service, il faut mettre des critères d'efficacité pour juger ensuite si le service doit être conservé ou supprimé. Une bonne gestion de notre pays ne réclame pas seulement des mesures pragmatiques et des gouvernements volontaires mais un renouvellement profond des procédures d'action et de contrôle. En définitive, un nouveau contrat social n'implique pas nécessairement une réduction des moyens mais un redéploiement. Ainsi, il ne s'agit pas, par doctrine, de plaider pour plus ou moins de services sociaux, mais d'adapter un service indispensable à l'évolution des besoins d'une société en évolution.