Combien de fois, dans cette même page, nous avons écrit ce genre de titre qui informe sur le départ à jamais d'un acteur culturel qui a tant aimé ce pays pour avoir risqué tous les maux, tous les mots, toutes les notes et contre-notes. C'est à croire que le bateau de la mort n'a pas fini de faire retentir sa sirène...Hier, il a encore embarqué un artiste parmi les grands: Hédi Guella qui a succombé à une grave et longue maladie... Celle peut-être aussi, d'un monde devenu complètement fou...Ce virtuose du luth, chanteur, compositeur et qui maîtrisait les langues vivantes comme personne, n'a pas supporté les désillusions et les multiples déceptions....Ces dernières années, on le voyait souvent se promener sur l'«Avenue» du côté des cafés qui étaient, à l'époque des années 1980, les lieux de rendez-vous privilégiés des intellectuels et militants de gauche. Guella cherchait, peut-être, à partager un certain regard sur la marche du monde que d'autres trouvaient un peu trop noir et déprimant...Arborant son béret comme une griffe, il était toujours prêt à partir avant même de finir son café... Comment raconter sa vie en quelques lignes? Pour ceux qui ne le connaissent pas, Hédi Guella était le premier Tunisien à chanter la chanson dite «engagée». A l'époque, et plus précisemment aux années 1970, il était jeune émigré en France où les mouvements de gauche étaient alors extrêmement actifs. Sensible à la condition de ses compatriotes, il avait composé l'une de ses plus cèlèbres chansons: Babour zammar, qui racontait la souffrance des émigrés. Alors que Tahar Ben Jalloun écrivait à son tour «la plus haute des solitudes» une enquête romanesque sur la vie des émigrés, que Cheikh Imam, en Egypte, transformait les paroles du poète Ahmed Foued Nejm en mélodies poignantes, les chansons de Guella étaient déjà scandées par les étudiants en Tunisie. De retour au pays pendant le court printemps démocrate dans les années 1980, Hédi accompagne Sgaïer Ouled Ahmed, Moncef Mezghani, Moncef Louhaibi, Adam Fethi et d'autres poètes et artistes tel que feu Hamadi Lajimi, dans leur quête de justice, de paix et du beau. Il chante des poèmes tunisiens, et compose ceux de l'Egyptien Amal Donkol et ceux du non moins cèlèbre poète palestinien, Mahmoud Darwich. Plus tard, Hédi Guella change de registre. Il compose des chansons de méditation. Puis, faisant toujours preuve de créativité, il écrit lui-même des poèmes en dialecte tunisien. C'était réussi. On se souvient encore de la grande surprise qu'il nous avait réservée il y a quelques années: fi galbi jerida une chanson composée sur des modes purement tunisiens et chantée par Hédi Habouba. En pensant à Guella, ce sont les airs et les paroles de cette chanson qui nous viennent à l'esprit. Ils nous rappellent combien de fois, au café, avant de partir, Hédi avait tenté de nous dire qu'il ne faut pas les laisser tuer la chanson!