Par Zouheïr EL KADHI (Docteur en économie) Compte tenu du fait que les produits alimentaires revêtent une importance extrêmement sensible mais également un caractère symbolique, la Tunisie a choisi une politique de subvention des produits de base à travers la Caisse générale de compensation (CGC). Créée depuis les années 70, celle-ci a pour but le soutien du pouvoir d'achat de la population à travers la subvention de certaines denrées alimentaires de base comme la farine, l'huile, etc. Rappelons dans ce contexte que les autorités tunisiennes subventionnent également l'énergie, les transports, le sucre et bien d'autres produits qui ne sont pas supportés par le budget de la CGC, ce qui alourdit naturellement fortement les charges des subventions. Le gouvernement en place doit faire face à une situation très difficile. Il doit limiter la hausse des dépenses de subvention, tout en maintenant la paix sociale. En effet, et bien qu'il soit politiquement difficile de supprimer les subventions, ne pas le faire coûte cher et coûte même de plus en plus cher au fur et à mesure que les prix internationaux montent. Cependant, la hausse des prix enregistrée récemment ne cesse de mettre le pouvoir d'achat des Tunisiens sous pression et alimenter un sentiment de ras-le-bol, comprimer les subventions serait suicidaire. Aujourd'hui, et dans un contexte résolument haussier des cours mondiaux de matières agricoles et de l'énergie, la Tunisie demeure très vulnérable car encore dépendante d'importations alimentaires. La situation alimentaire demeure effectivement inquiétante et il nous faudra peut être apprendre à payer plus pour nous nourrir même si cela peut être perçu comme une régression. Nos finances publiques demeureront en effet probablement confrontées aux lourds problèmes posés par des prix de l'énergie et de l'alimentation à la fois plus élevés et instables que par le passé. Dans ce contexte, et bien qu'elles soient politiquement populaires, ces subventions n'en posent pas moins des problèmes dont trois principaux. D'abord, les subventions non-ciblées profitent davantage aux plus riches qu'aux plus pauvres. Ensuite, par le fait d'abaisser artificiellement les prix, les subventions peuvent favoriser le gaspillage et conduire à un comportement de surconsommation. Enfin, les subventions étant souvent dépendantes des cours mondiaux, leur charge dans le budget de l'Etat est fortement volatile. Aujourd'hui, il est temps de concevoir et d'instaurer des mécanismes de protection sociale plus efficaces et moins onéreux afin de remplacer à terme les subventions. Dans la pratique, il est possible de mieux cibler les dispositifs de protection sociale tels que les transferts monétaires et autres formes d'aide au revenu. Il serait ainsi plus efficace de remplacer les subventions par des aides au revenu ce qui permettrait de renforcer la protection sociale et libérer des ressources conséquentes pour d'autres priorités. A cette fin, une stratégie de réforme reposant sur quatre axes peut être envisagée : informer et surtout sensibiliser la population aux coûts des subventions pour mieux faire comprendre les arguments en faveur des réformes. En effet, les subventions accordées doivent être quantifiées et inscrites au budget de façon à être mises en concurrence avec d'autres services de première importance. Comme partout dans le monde, il existe souvent une certaine résistance aux réformes des subventions. Afin de limiter cette résistance, les pouvoirs publics doivent convaincre les citoyens que les économies ainsi dégagées seront utilisées à bon escient. A ce sujet, et dans un deuxième temps, il convient de renforcer la gouvernance, la responsabilité et la gestion des finances publiques. Les économies dégagées par de telles réformes doivent être allouées de façon transparente et efficace. Il est ensuite important d'affiner progressivement le ciblage des subventions et renforcer les filets de protection sociale. Il s'agit de mettre en place un système d'évaluation permanente du ciblage des subventions à la consommation. Il faut également un travail de suivi pour définir le groupe ciblé, évaluer l'impact de ces programmes sur la pauvreté. Enfin, dans un dernier temps, il faut chercher à instaurer des mécanismes d'ajustement automatique des prix afin de limiter les suspicions sur la tarification. Naturellement, l'objectif ultime de toute réforme des subventions de prix est de chercher à éliminer la fixation discrétionnaire et ad hoc des prix. Un système d'ajustement automatique des prix écarte les soupçons d'une quelconque influence sur la tarification. Il serait également utile d'instaurer une forme de taxe flottante qui permet un lissage des prix et surtout éviter de suspendre les mécanismes d'ajustement en cas de hausses soudaines et/ou de fortes volatilités des cours mondiaux.