A l'égal du Maroc, l'émotion a été grande en Tunisie après le suicide par immolation de la jeune Amina, contrainte par la loi d'épouser son violeur. Tout le monde a découvert, choqué, le désastre de l'article 475 du code pénal marocain selon lequel le ravisseur d'une mineure n'encourt aucune peine d'emprisonnement s'il accepte d'épouser sa victime. Le mariage, arrangé entre les familles sous les auspices du juge, a été imposé à la petite — dont on a ignoré la souffrance — et a été conclu et célébré dans les formes requises ! Comment de telles aberrations peuvent-elles encore exister s'interrogent les bonnes âmes compatissantes non sans se dire soulagées, croyant échapper au pays du Code du statut personnel au sort de la jeune Marocaine. Il est sans doute choquant d'apprendre que l'article 475 marocain a son double ainsi que son équivalent tunisiens : d'abord l'article 239 relatif à l'enlèvement d'une mineure selon lequel «le mariage de l'auteur de l'infraction avec la fille qu'il a enlevée a pour effet la suspension des poursuites, du jugement ou de l'exécution de la peine» et le redoutable article 227 bis du code pénal relatif au fait de «faire subir sans violence, l'acte sexuel (sic)» à un enfant de sexe féminin âgé de moins de 15 ans accomplis ou dans le cas où l'âge de la victime est supérieur à 15 ans et inférieur à 20 ans accomplis. Les peines sont, selon le cas, de six ou de cinq ans de prison. Mais dans les deux cas ajoute le texte «le mariage du coupable avec la victime arrête les poursuites ou les effets de la condamnation». Qui l'eût cru! Au pays du statut personnel ? L'article 239 : Le mariage du ravisseur avec sa victime. Une survivance de l'ancien droit pénal Le cas de l'enlèvement de l'article 239 ne semble pas fréquent ni même connu de la jurisprudence tunisienne. Cela ne veut pas dire qu'il ne se soit pas produit mais seulement qu'il soit resté à la lisière de nos connaissances. Il concerne quiconque «sans fraude, violence ni menace détourne ou déplace une personne des lieux où elle a été mise par ceux à l'autorité ou à la direction desquels elle est soumise ou confiée». Survivance de l'ancien droit pénal tunisien (1913), le cas est tiré en toute probabilité du droit français d'ancien régime. L'espèce est connue sous le nom de «rapt de séduction» dont l'objet est «de contracter avec un enfant de famille un mariage avantageux contre le gré et à l'insu de la famille» [ Traité de la séduction, 1781). Cet enlèvement est considéré comme un attentat, une injure à l'autorité des parents, tuteurs ou curateurs « ceux à l'autorité desquels ou à la direction desquels» la personne ravie mineure est soumise ou confiée. La peine, après avoir été la mort (l'Ordonnance de Blois de 1579,) ou la confiscation des biens, puis la réclusion, allait se transformer à partir de 1730 en peine alternative entre la réclusion ou le mariage du coupable avec sa victime dans l'idée de réparer la faute, sauver l'honneur perdu et l'autorité bafouée de la famille. Survivant à la Révolution française, cette mesure a été adaptée à la nouvelle configuration de la famille napoléonienne par le Code pénal de 1810. Elle subsistera jusqu'en 1994. Dans sa version originale, l'article 357 précise concernant l'enlèvement de filles mineures: «Lorsqu'une mineure ainsi enlevée ou détournée (sans fraude ou violence) aura épousé son ravisseur, celui-ci ne pourra être poursuivi que sur la plainte des personnes qui ont qualité pour demander l'annulation du mariage et ne pourra être condamné qu'après que cette annulation aura été prononcée». Reprise in extenso par le code pénal marocain concernant la «mineure nubile», la mesure est pour le moins choquante, faisant de la jeune fille un simple objet de transaction. Sans voix au chapitre, il ne lui reste que le choix d'attenter à ses jours. Combien faut-il de «Amina» pour abolir ces privilèges ? L'article 227 bis : Quand le violeur est disculpé par le mariage avec sa victime mineure L'article 227 bis, introduit en 1958, est source perpétuelle de déni de justice à l'encontre des mineures de sexe féminin. Non seulement il ne qualifie pas d'agression «l'acte sexuel » commis sur une mineure, mais l'exclut ipso facto de la catégorie du viol puisqu'il n'est pas -dit-on- «subi avec violence» contrairement au viol et finit par excuser le coupable en lui ouvrant le subterfuge du mariage avec sa victime pour échapper aux poursuites et mettre fin à la condamnation. C'est à cause des manœuvres qu'il a engendrées et des vies d'enfant qu'il a brisées — le violeur épousant sa victime pour la divorcer aussitôt — que le législateur a été contraint d'admettre en 1969 la reprise des poursuites ou des effets de la condamnation si le divorce, sur demande du mari, a été prononcé avant l'expiration du délai de deux ans à partir du mariage. Justice en trompe-l'œil, transposée sans discernement, l'article 239 a érigé autour du viol de la mineure, un non-dit collectif, un mur de silence. Il est important de faire remarquer que le terme «ightissab» est absent du registre suranné et pourtant maintes fois retouché du code pénal. Ce dernier distingue «le viol» (muwaqaâtu untha ghasban) — crime introduit en 1958 comme un abus sexuel commis avec violence, usage ou menace d'usage d'arme (article 227 nouveau) uniquement sur une personne de sexe féminin, d'autres actes regroupés sous le titre générique d'attentats aux mœurs : l'outrage public à la pudeur dont l'atteinte aux bonnes mœurs, la débauche, le harcèlement sexuel (2004), l'attentat à la pudeur, la sodomie. Entre le viol «commis avec violence» (cas de l'article 227 nouveau) et le viol déqualifié en acte sexuel commis sans violence» sur une mineure (cas de l'article 227 bis), les peines sont aux antipodes l'une de l'autre. Alors que dans la première hypothèse le coupable est puni de mort ou d'emprisonnement à vie, dans la seconde, la « peine» est alternative entre l'emprisonnement durant cinq ou six ans et le mariage du coupable avec sa victime mineure. Peines extrêmes (la mort) ou absurdes (le mariage), contraires dans les deux cas au principe intangible de l'intégrité physique et morale de la personne humaine, elles poussent les magistrats à des élucubrations doctrinales et à une jurisprudence peu conforme à l'esprit de justice qui assurément anime tout juge. Il n'est pas rare de les voir conclure à l'absence de viol s'agissant pourtant, comme dans le cas de l'espèce, d'une fillette de 11 ans abusée fréquemment par son beau-père [cass. 52009/ 8 juin 1993]. N'ayant pas usé d'armes mais usant de sa domination sur une fillette de plus de 10 ans, ce viol n'est pas tombé sous le sens de l'article 227. De même, si la cour a fini par ne plus tirer ipso-facto du silence de la victime – mineure — son consentement au viol (sic) elle fera diligence pour en détecter quasi systématiquement l'existence [cass. 34983/6 mai 1991] Voilà des années que l'association tunisienne des femmes démocrates, saisie d'affaires de viol contre les mineurs, filles et garçons, de pédophilie, d'agressions sexuelles de toutes sortes commises paradoxalement par les plus proches de l'entourage familial crie au scandale. Qui a voulu l'entendre ? Voilà des années qu'elle demande en vain l'abolition de l'absurde article 227 bis du code pénal qui disculpe le violeur et fait porter à la victime le poids de l'hypocrisie sociale. Si le sens de l'humain impose d'abolir la peine de mort du coupable quel qu'en soit le crime, même le crime de viol, le sens de la justice impose d'urgence une refonte en profondeur et avec sérieux de la législation tunisienne dans le sens d'une loi intégrale sur les violences envers les femmes.