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Le 9 avril : les trois graves erreurs du gouvernement
Opinions
Publié dans La Presse de Tunisie le 16 - 04 - 2012


Par Jamil SAYAH
La politique est tout à la fois le choix des solutions nécessaires à la satisfaction du plus grand nombre et l'art de rendre leur application possible, c'est-à-dire acceptable sans heurts. Malheureusement, ces deux missions n'ont point été le fondement de la décision du ministre de l'Intérieur quand il a interdit l'avenue H. Bourguiba à l'exercice d'une liberté péniblement acquise : celle de manifester sans entraves. Et si la motivation d'une telle décision est tellement obscure, c'est bien qu'elle est un nœud de ressentiment et d'ambiguïté. Sa dangerosité est de fonder sur un a-priori juridique contestable une vue politique singulièrement cavalière de la réalité. En fait, elle exprime sous une forme critiquable une expérience manifestement insuffisante de maintien de l'ordre. Conséquence, le désordre s'est succédé à l'ordre. A la légitimité s'est succédé l'arbitraire. En quelques heures, un régime issu des urnes a fait revivre à des Tunisiens, manifestant pacifiquement, la même brutalité policière que celle qu'ils ont cru avoir définitivement chassée de leur espace politique grâce à la Révolution. D'ailleurs, chaque règne ne peut s'établir que lorsque le précédent a terminé sa mission historique. L'emploi d'une telle violence est le signe certain que le monstre n'est point encore mort. A tout moment, il peut renaître de ses cendres et recommencer. A qui la faute ?
A lire, en effet, les innombrables développements et analyses consacrés aux faits qui ont ponctué la journée noire du 9 avril, il apparaît que la responsabilité des forces de l'ordre l'emporte de loin sur les autres catégories de fautifs. Il est logique que les agents de police impliqués directement dans la production de cette violence désincarnée en assument une part importante des reproches. En revanche, il est quelque peu surprenant que l'on néglige les décisions et les arrière-pensées politiques qui ont servi de fondement à cette horrible tragédie. A l'heure où le ministre s'apprête à «arroser» les médias par des preuves «irréfragables» et à les irriguer par des photos censées être «compromettantes», la vérité est moins de mise que jamais. En réalité, ce qui est à l'origine de ce drame politique n'est qu'une succession d'erreurs d'appréciation commises par un gouvernement qui voulait jouer une nouvelle partition. Ces types d'erreurs, au-delà des personnes qui les ont commises, nous semblent emblématiques de la conception que le gouvernement actuel se fait du politique, et plus encore de sa volonté d'en finir avec une certaine culture de la politique menée jusque-là. Parmi les erreurs liées à cette noire journée du 9 avril, il en est trois qui, en dépit des apparences, ont joué un rôle déterminant.
Une erreur d'appréciation symbolique
A chaque Révolution ses symboles : la place «Tahrir» en Egypte, la place de la « Bastille » en France et l'Avenue «H. Bourguiba» en Tunisie... Que serait la Révolution de notre peuple sans l'occupation de cet espace ? Même sur le plan étymologique, ce qui différencie une révolte d'une révolution n'est-elle pas la capacité de cette dernière à sortir la contestation populaire de sa périphérité territoriale en la rendant visible par l'occupation (sans relâche) de l'espace central de la ville. Ainsi, cette avenue, cœur historique de Tunis, est devenue, après la chute de la dictature, le cœur de la Révolution. Dès lors, le «dégage» qui a résonné sur cet emplacement ne peut en aucun cas être sacrifié sur l'autel de la nécessité du maintien de l'ordre. Et les «plaintes» déposées par des commerçants qui prétendent être excédés par la saturation politique de cette artère urbaine ne peuvent légitimement contrebalancer le poids symbolique qui consiste à venir exprimer sa joie ou ses frustrations (dans et à travers) ce lieu. A notre avis, c'est la première grave erreur d'appréciation de ce gouvernement.
Il a complètement omis de prendre en considération la force attractive de ce symbole révolutionnaire. Il a oublié que la création d'un imaginaire (révolutionnaire) s'enracine en effet dans l'affectif et le mystère. Ce fétichisme se nourrit de symboles fondateurs «bricolés» à partir d'éléments variés. Et l'emplacement territorial de l'évènement (même s'il s'est déroulé par ailleurs), en constitue une source d'inspiration déterminante. Car dans l'inconscient populaire, cette portion du territoire valorise le principe de liberté et affirme la primauté de la démocratie perçue désormais comme le nouveau fondement de la société. Aussi, interdire son accès, c'est purement et simplement un retour en arrière. C'est en fait vouloir actionner le processus de la contre-révolution. La hantise de tout un peuple.
Une erreur d'appréciation politico-juridique
Les préoccupations de maintien de l'ordre ont de tout temps justifié l'intervention de l'Etat en matière de sécurité. Il s'agit alors de véritables mesures de police dictées pour prévenir les troubles à l'ordre public. Il n'y a rien d'étonnant à cela, car les nécessités de l'ordre public sont essentiellement variables. Il faut donc qu'elles puissent être appréciées à tout moment. Mais alors il y a un très grave danger, car une déformation toute naturelle peut pousser les autorités de police à prendre les moyens pour les fins et à méconnaître en fait les principes de l'Etat de droit. La formule: «La liberté est la règle, la restriction l'exception», tend à s'opposer à ce danger. Il faut que la restriction de police, quand elle intervient, laisse subsister le principe, et le principe, ce doit être la liberté. Tout est donc question d'équilibre. Ainsi, l'ordre républicain garanti par l'Etat, c'est d'abord au minimum l'absence de troubles, mais il vise essentiellement à atteindre le degré supérieur de la paix civile, harmonie résultant de l'épanouissement des libertés publiques et individuelles.
Dès lors, le «bon ordre» républicain ne peut être qu'un ordre naturel ressenti comme tel par l'ensemble de la société et défendu d'une manière impartiale par un gouvernement au-dessus de tout soupçon. Le consensus et le dialogue apparaissent ici comme un élément composant l'ordre public, si l'on veut promouvoir le «vivre ensemble en bonne intelligence» suprême finalité de notre Révolution. En effet, l'usage de la force publique cesse alors d'être la panacée. Il devient le dernier recours conditionné par l'exigence de la nécessité. Aussi, une intervention de police n'est légale que lorsqu'elle est nécessaire. C'est la nécessité qui conditionne aussi bien sa légalité que sa légitimité. Donc, elle est à construire pour l'avantage de tous, et non pour l'utilité tactique de ceux qui exercent le pouvoir. En définitive, il ne serait pas suffisant de maintenir un ordre statique dont la fixité pourrait susciter le rejet populaire. Il appartient au gouvernement de favoriser un ordre dynamique plus juste et reconnu par les citoyens comme non partisan. D'où la nécessité de mettre en place des procédures de concertation pour faire vivre tous les principes démocratiques et substituer le débat au combat. Au contraire, le gouvernement a décidé de mener le combat contre les manifestants. Il a même chargé sa «milice» à venir corriger les opposants. Encore une grave et dangereuse erreur qui nécessiterait un développement plus long qui dépasse la cadre de cette réflexion.
L'erreur d'appréciation historique
La dernière erreur, comparativement aux autres, nous paraît plus grave. Elle transpire le dogmatisme. Elle exprime, de la part du parti majoritaire au pouvoir, une volonté politique de ne pas assumer les dates clés qui ont jalonné l'histoire moderne de notre pays. Plusieurs faisceaux d'indices convergent dans ce sens. Le gouvernement n'a point célébré le 20 mars, fête de notre indépendance. Sur le plan officiel, la date est quasiment passée inaperçue. Et il s'apprêtait à faire de même pour le 9 avril, fête des Martyrs. D'où l'interdiction et la fermeture de l'avenue H. Bourguiba aux manifestants. Et l'ordre qui a été donné aux forces de police de réprimer sauvagement les récalcitrants, n'est en réalité que l'expression de ce rejet. Que cache ce déni ? Une option politique qui consiste à revisiter la mémoire de notre Nation. Pour eux, tout est à réécrire. Notre passé n'est pas le leur. Ils ne veulent point l'assumer. Leurs fêtes sont autres et leurs héros ne sont point les nôtres. En termes savants, on nomme cette pratique de «révisionnisme».
La lutte mémorielle n'est pas un vain mot. Pour le mouvement Ennahada, renaître politiquement, c'est d'abord rejeter, c'est-à-dire attaquer et détruire. Détruire le passé et rejeter une mémoire qui a été confectionnée sans elle. L'affirmation de nouvelles valeurs n'est jamais la simple conséquence logique des précédentes. Elle implique toujours leur négation. Le projet politique de ce mouvement étant l'islamisation par le bas de la société, cela exige alors de saturer la mémoire collective par d'autres fêtes, d'autres dates et d'autres communions en lien avec sa matrice idéologique, la religion. Plus profondément encore qu'il ne nous a paru jusqu'ici. La négation de ces étapes mémorielles lui apparaît comme la condition nécessaire de sa propre libération. Le trait le plus caractéristique de la conscience d'un Nahdhaoui est sans doute que la foi en Dieu y implique la fin de la foi en la patrie et la foi en l'umma y implique également la fin de la foi en la nation.
Or la Tunisie est un vieux pays et l'expérience de son peuple est indispensable à son histoire. Cette longue marche, mêlée d'ambition et de contradictions, d'idéal et de combat, a forgé une spécificité, une identité différente de celle de nombreux pays arabes et notamment celle des pays du Golfe. En effet dans notre pays, on ne peut se risquer de construire l'avenir, si on ne garde pas présent à l'esprit le poids de notre hérédité historique et la spécificité de notre aventure nationale exceptionnelle. La Révolution en avait le juste sentiment, tout en étant d'inspiration universelle, voulant rendre à la nation ce culte qui n'est dû qu'à la patrie. Comme la liberté, l'égalité et la dignité ne peuvent concrètement exister qu'en s'incarnant dans des structures politiques et économiques, ainsi le sentiment patriotique n'a d'efficacité qu'en se ritualisant, si l'on peut dire, et en se revivifiant sans cesse, grâce à des phénomènes de communion : en ce sens la patrie, comme la famille, doit avoir un foyer. En déplaise au gouvernement, la société civile a élu domicile à l'avenue H. Bourguiba.
La Nation est ainsi une construction, une création abstraite d'être humains s'unissant par un lien affectif au nom de principes et d'histoires communes. Le «legs» du passé est une source de sécurité et de légitimité. Aussi, quoi qu'en pensent les adeptes de ce mouvement, c'est cela qui fait la société. Si le parti majoritaire veut se débarrasser de notre mémoire nationale, c'est qu'il voit en elle non seulement le symbole de la modernité, mais surtout un obstacle majeur à la réalisation de son projet d'islamisation par le bas. Or on ne peut changer la mentalité par décret et encore moins on ne peut priver un peuple de son histoire et de sa mémoire nationale. C'est encore une erreur politique de penser que l'histoire d'une nation doit se confondre avec celle d'un parti politique. Car dans notre pays, depuis la nuit des temps, tout est solidaire de tout, et tout est mêlé à tout. C'est la Tunisie éternelle. Point.
*(Professeur de Droit public)


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