Il semble que l'affaire des étudiantes portant le niqab à la faculté des Lettres, des Arts et des Humanités de La Manouba (Flahm) et leur interdiction de passer les examens par le doyen de la faculté, conformément au règlement intérieur de la faculté, ainsi que le sit-in organisé par les étudiants salafistes durant plus de deux mois sont revenus au-devant de la scène politique nationale. Au moment où l'on croyait que les esprits se sont apaisés, voilà qu'un groupe comportant plus d'une centaine d'universitaires, intellectuels, artistes, et personnalités de la société civile revient à la charge en publiant aujourd'hui, mardi 17 avril, une déclaration appelant à la création «d'un comité de défense des valeurs universitaires, de l'autonomie institutionnelle, des libertés académiques et de soutien à la Flahm». La déclaration rappelle les péripéties de l'affaire en épousant le point de vue du doyen Habib Kazdaghli que le ministère de l'Enseignement supérieur «a choisi de livrer à la vindicte des salafistes», en refusant d'intervenir pour faire appliquer la loi et appeler les forces de l'ordre à faire évacuer les sit-inneurs salafistes. Après avoir accusé le gouvernement «de renoncer à ses devoirs dictés par le bon sens et codifiés par le droit tunisien et les recommandations de l'Unesco en matière de garantie de la sécurité des étudiants, des professeurs et du personnel administratif et ouvrier», les signataires de la déclaration font remarquer que : – «Le combat que mène la Flahm est le combat de toute l'université et celui de toute une société qui s'est débarrassée de la dictature et ne veut pas qu'elle revienne». – «Qu'ils sont prêts à mener toutes les actions à même d'assurer la primauté de la loi dans les établissements d'enseignement supérieur, à défendre toutes les institutions universitaires contre toute atteinte susceptible de porter préjudice au savoir et aux valeurs universitaires, à l'intégrité physique de leurs responsables, de leurs enseignants, de leurs étudiants et de l'ensemble de leur personnel». La responsabilité exclusive des doyens Seulement, l'appel à la création du comité de défense des valeurs universitaires ne semble pas emballer outre mesure les responsables au sein du ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique. Contactée, une source informée au ministère de l'Enseignement supérieur souligne d'emblée : «Il faut revenir aux textes législatifs relatifs à l'organisation de la vie universitaire, notamment le décret-loi n° 27 et la loi en date de 2008. Dans ces deux textes, les prérogatives de toutes les parties (doyen, directeur d'établissement universitaire, recteur ou président d'université) sont clairement définies, ainsi que les attributions du ministre. Aussi le doyen est-il tenu de veiller à la bonne marche de l'institution qu'il dirige. Il faut ester en justice, demander aux autorités sécuritaires d'intervenir, le cas échéant, sans être obligé d'avoir l'autorisation du ministre qui doit être tout simplement informé de l'action entreprise par le doyen. Toutefois, le ministre peut intervenir dans les cas qu'il juge exceptionnels. Dans tous les cas, le ministre de l'Enseignement supérieur ne peut intervenir pour demander aux forces de sécurité d'évacuer les sit-inneurs dans une quelconque institution universitaire (à la faculté des lettres de La Manouba précisément) qu'après réception d'une demande écrite de la part du recteur de l'Université de La Manouba. Ce qui n'a pas été fait par le recteur de l'université en question dans la mesure où le doyen de la faculté des Lettres, des Arts et des Humanités de La Manouba n'a pas adressé au recteur une demande écrite en ce sens», précise encore notre source. Pour ce qui est de la position du ministère à propos du port du niqab au sein de la faculté des Lettres de La Manouba, «elle est légale et impeccable sur le plan juridique et l'avis rendu par le Tribunal administratif est venu appuyer la position déjà prise par le ministère en avril 2011, bien avant l'arrivée du Dr Moncef Ben Salem et bien à l'époque où Rifaât Chaâbouni dirigeait le ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, à l'époque du gouvernement Caïd Essebsi». La même source précise encore que «le ministre ne peut pas publier une circulaire autorisant ou empêchant le port du niqab au sein de l'université, dans la mesure où cette décision revient au doyen de la faculté en question et non au conseil scientifique, comme cela a été écrit par erreur, puisque le conseil scientifique est une structure purement consultative et que le dernier mot revient au doyen. D'ailleurs, la décision prise par le doyen Habib Kazdaghli relative à l'interdiction du port du niqab au sein des salles d'examen est juste et rejoint l'avis rendu par le Tribunal administratif auquel s'est adressé le ministre de l'Enseignement supérieur». Sollicités pour avis par le ministre de l'Enseignement supérieur, en date du 10 janvier 2012, à propos du port du niqab au sein de l'université, le Tribunal administratif considère, en effet, que «le port du niqab s'inscrit dans le cadre de l'exercice des libertés publiques et que légiférer dans ce contexte revient à l'Assemblée nationale constituante, dans le cadre d'une loi organique, conformément aux articles 4 et 6 de la loi relative à l'organisation provisoire des pouvoirs publics dite la petite Constitution».