• Jendoubi : «Huit mois au minimum pour préparer les prochaines élections» L'enjeu de l'indépendance d'une instance pour les élections a été le thème de la première table ronde organisée hier à l'initiative du groupe d'associations Lam Echaml, mais il a été également le pivot thématique central autour duquel se sont développés les interventions et le débat par la suite. Kamel Jendoubi, ancien président de l'Isie et homme clef des élections du 23 octobre, premier intervenant de l'atelier, a rappelé la crédibilité de l'instance et proposé d'opter à l'avenir pour une structure neutre, juridiquement et financièrement. Il a rappelé la composition de l'instance des élections qui comptait 16 membres : des experts de tous bords, des magistrats et universitaires reconnus pour leur compétence et intégrité. C'est leur travail et leur profil qui ont été à l'origine de cette confiance, reconnaît-il. Parallèlement, il estime que l'expérience du 23 octobre était unique parce que l'ancien gouvernement qui avait géré les anciennes élections n'était pas concerné (puisqu'il n'était pas éligible ni reconductible). Or ce n'est pas le cas de l'actuel, précise-t-il. L'indépendance de l'instance doit être préservée, elle ne doit relever d'aucun ministère, martèle M. Jendoubi, et elle doit bénéficier, poursuit-il, d'une structure juridique devant lui assurer son indépendance. La neutralité des membres doit être considérée comme un critère technique pour protéger l'instance des dissensions partisanes. M. Kamel Jendoubi ajoute que l'instance doit avoir les prérogatives de gérer son budget, ses biens et ses ressources humaines, pour ne subir aucune sorte de pressions, ni administratives ni structurelles. Toutes les étapes d'organisation des élections doivent se faire sans l'intervention du gouvernement ni des partis au pouvoir. Crédibiliser les résultats Cette indépendance est nécessaire, insiste-t-il, pour assurer les meilleures conditions au processus électoral et, au-delà, crédibiliser le résultat des élections. La stabilité politique et sociale dépend, selon lui, de la confiance que porte le peuple aux résultats électoraux. A la question de savoir s'il avait été confirmé en tant que président de l'instance des futures élections, M. Jendoubi affirme que non : c'est une décision, selon lui, qui doit être prise par les autorités compétentes, mais à ce jour, il n'y a rien d'officiel. Sa nomination, explique-t-il, relève de la compétence du gouvernement, et de la même manière que l'ancien gouvernement a nommé, par décret, une instance, l'actuel gouvernement devrait procéder de la même manière. La volonté politique partagée par tous les partis de mettre en place une instance indépendante dans le paysage institutionnel et politique tunisien ne fait aucun doute, selon l'ancien président de l'instance, et cette institution n'a pas uniquement pour objectif de réaliser les prochaines élections : elle doit être présente durablement. Et de préciser: «Nous avons une instance qui a rempli sa mission, qui a un cadre légal, qui a réalisé des élections, de l'avis de tous, réussies. Il y a des imperfections, parfois même des erreurs mais, au global, et étant donné les conditions dans lesquelles nous avons travaillé, nous avons rempli notre mission. Nous en sommes très fiers, la Tunisie est fière, non seulement d'avoir fait une révolution, mais aussi d'avoir réalisé des élections démocratiques. C'est ça l'image de la Tunisie chez les Tunisiens et ailleurs dans le monde». Quant à la question concernant les délais nécessaires pour organiser des élections dans la sérénité, M. Jendoubi l'évalue à 8 mois au minimum : pour travailler, non pas à l'aise, mais dans les délais. L'essentiel, dit-il, est de ne pas perdre la confiance des Tunisiens, qui est pour l'heure une confiance fragile, qu'il faut consolider. Il faut qu'on se dote d'un texte fondamental et qu'on fasse un choix constitutionnel... Dans un pays qui n'a pas de traditions démocratiques, c'est une bataille permanente, conclut-il. «L'instance des élections ne relèvera plus jamais du ministère de l'Intérieur» Il est un fait, précise de son côté M. Touir, que l'indépendance administrative et financière des instituions en charge des élections est un critère fondamental dans les pays démocratiques. M. Jamel Touir est président de la commission des instances constitutionnelles de l'ANC. Au cours de son intervention, il rappelle qu'une trentaine de projets de constitutions ont été reçus par la commission, dont seulement une douzaine ont été retenus. Les constitutions de certains pays qui ont opéré leur transition démocratique sont également en cours d'analyse, telles que la constitution de certains pays d'Amérique Latine, du Sud de l'Europe, et d'Afrique du Sud. Le Maroc et la Jordanie ont également été cités. Des séances d'écoute d'experts en droit constitutionnel, à l'instar de Sadok Belaïd et Yadh Ben Achour, et d'hommes de terrain comme Kamel Jendoubi, ont eu lieu. C'est dire, selon lui, que l'ANC tient à mettre en place un texte fondamental inspiré des meilleures pratiques. Mais l'instance doit-elle comprendre de manière proportionnelle les différents partis qui ont fait leur entrée sur la scène politique ou bien être composée de personnalités indépendantes? La réponse était que la question n'a pas été tranchée. Une information confirmée par Nadia Chaâbane, députée à l'ANC et membre de ladite commission des instances. Elle explique à son tour que tout l'enjeu est de ne pas placer l'instance sous la tutelle d'une loi organique, qui arrêterait les prérogatives, la composition, la rédaction de l'instance et le déroulement du processus électoral. Cette loi risquerait de ne pas être consensuelle. Des tergiversations qui laissent augurer là encore d'un possible bras de fer autour de la composition des membres de l'instance. Une chose est gagnée, précise néanmoins la députée : l'instance des élections est constitutionnalisée, elle échappera à tout pouvoir exécutif. Plus jamais le ministère de l'Intérieur n'interviendra. L'Isie a réussi parce que c'était une entité intègre et non partisane M. Ahmed Souab, président de l'Union des magistrats administratifs, ne semble jurer que par la neutralité. Selon lui, une autorité électorale ne peut être qu'indépendante, l'impartialité est une notion statutaire, mais la neutralité, elle, traduit l'action en cours de conflits, et se matérialise par des décisions. Toujours selon le président des magistrats administratifs, une instance indépendante garantirait la fiabilité du mécanisme électoral. La reconnaissance du travail de l'Isie a été quasi-unanime parce qu'elle était une entité intègre et non partisane. Tout est dit, et M. Souab d'enchaîner par un exposé détaillé dont le propos est que la personnalité morale de l'instance, son autonomie financière, son autonomie administrative gérée par une équipe homogène et restreinte, tout comme les attributions contentieuses, tout cela doit garantir un pouvoir réglementaire spécial à l'Isie. Il ressort de la première table ronde, du moins, que la neutralité et l'indépendance des personnalités appelées à composer le noyau dur de l'instance électorale semblent être une condition sine qua non à la réussite de l'opération électorale, à propos de laquelle les Tunisiens s'impatientent déjà depuis un moment.