Par Zouheïr KHADHI (Docteur en économie) Les événements qu'a connus la Tunisie en 2011 ont fortement fragilisé l'économie. Cette situation a nécessité d'exceptionnels stimuli monétaires et budgétaires. A ce propos, consciente de la fragilité de la situation, la Banque centrale n'a pas ménagé ses efforts pour mettre en œuvre une politique monétaire expansionniste afin de limiter les risques. Elle a, en effet, joué un rôle très actif en injectant de la monnaie dans le système économique, en abaissant les taux de réserve obligatoire à 0% et les taux d'intérêt à plusieurs reprises. Elle est également venue au secours des banques en difficultés. Aujourd'hui, malgré tous ces stimuli, l'économie tunisienne se trouve au milieu du gué. Les perfusions monétaires n'auront aucun effet, à moins d'accepter un dérapage d'inflation avec tous les risques, sociaux et économiques, que cela comporte. En effet, avec des taux d'intérêt réels en territoire négatif, la politique monétaire a, semble-t-il, épuisé ses marges de manœuvre. Ne pouvant aller jusqu'à rémunérer les emprunts, elle tente sans trop y croire d'accroître la liquidité de l'économie, tout en sachant que l'état des bilans bancaires et la situation financière des entreprises bloquent toute reprise des crédits à l'économie (Credit Crunch). Le «Credit Crunch» correspond au fait que, face à des difficultés, les banques deviennent réticentes à accorder des crédits aussi bien pour les ménages que pour les entreprises. De plus, si l'inflation continuait à augmenter, la BCT pourrait se voir contraindre à un retour vers une politique monétaire restrictive qui exposerait à un risque de pénurie de crédit et à un processus de désendettement des ménages. Un tel processus serait bien sûr préjudiciable à l'expansion de la demande intérieure, notamment la consommation et l'investissement, et donc à la relance de la croissance. Face à des risques de pénurie de liquidité, les banques tunisiennes, sous-capitalisées, vont se trouver dans des situations difficiles. Ces difficultés de financement peuvent se transformer en un véritable effondrement du crédit, lorsque les banques, atteintes par les défauts de paiement, deviennent fragiles. Même les projets rentables ne trouvent plus de financement. La crise asiatique de 1997-1998 illustre ce mécanisme. Dans cette situation, les faillites se multiplient par crise de liquidité. Dans de telles circonstances, le désendettement devient une priorité absolue, au détriment de l'investissement. L'amélioration des comptes passe souvent par des licenciements, ce qui déprime encore la consommation et donc la croissance. Aujourd'hui, les risques de liquidités sont réels, les banques à court de liquidité ne peuvent compter sur un niveau satisfaisant de recouvrement des crédits dans de nombreux secteurs qui connaissent des difficultés. Avec l'assèchement des liquidités qui pourrait durer quelques mois, les risques de «Credit Crunch» ou «resserrement du crédit», peuvent devenir évidents si aucune mesure d'envergure n'est prise pour conforter le secteur bancaire et adapter la politique monétaire. Si ce mécanisme se confirme, les conséquences sur l'économie et sur la relance seront très néfastes. En effet, les déterminants de la demande intérieure ne joueront pas le rôle espéré de relance économique. Crédit immobilier, crédit aux entreprises, crédit de consommation vont se raréfier pour des raisons multiples, dont l'aversion au risque, la recapitalisation des banques, le durcissement des contrôles de bilan et la prudence des emprunteurs, Le scénario le plus catastrophe vient du fait qu'environ 75% du PNB des banques proviennent des revenus d'intérêt et des commissions. Cette situation de manque de liquidité accouplée à une sous-capitalisation va forcer les banques à limiter les crédits. Cependant, ces mêmes crédits sont la seule source de survie des banques tunisiennes, ce qui rend le risque de faillite non négligeable. Compte tenu de tous ces éléments, que peut-on faire pour éviter que ce cercle vicieux ne s'enclenche? Les autorités monétaires ont fortement réduit les taux d'intérêt pour maintenir le crédit et la politique budgétaire a soutenu la demande. Mais ces facteurs ne sont pas reconductibles : les taux d'intérêt ne peuvent plus guère baisser ni le déficit s'élargir. La résistance actuelle de l'économie tunisienne ne peut donc suffire à apaiser les craintes. Le «Credit Crunch» est peut-être pour demain.