J'ai eu la chance — vraiment rare — de rencontrer le plus grand musicien du monde arabe, Mohamed Abdelwaheb, à neuf reprises, lors de mes visites au Caire. Il occupait le deuxième étage d'un immeuble situé rue El Ferdaous, à Ezzamalek. La première de ces rencontres remonte au mardi 24 janvier 1978. J'avais alors réalisé un entretien avec lui pour le compte d'un quotidien de la place en langue arabe et d'un autre en langue française. Cette même année, le «musicien des générations» a reçu le disque platine décerné par l'EMI. La dernière rencontre qui dura 35 minutes se déroula en 1990. J'ai le souvenir d'un homme affable et courtois qui vous reçoit à bras ouverts. L'association des «Amis de Mohamed Abdelwaheb» a publié, il y a quelques années, la chronologie de la vie et de l'œuvre du maître de la chanson arabe. Nous vous rapportons cette étude rectifiée par nos soins : 1901 - Le 13 mars, Mohamed Abdelwaheb vit le jour à Béni Iyadh, délégation d'Abou Kébir, gouvernorat d'Echarquia. Son père est le cheikh Abdelwaheb Mohamed Abou Aïssa Echaârani. Sa mère est Fatma Hijazi. Il a deux frères : Hassen et Ahmed, et deux sœurs : Aïcha et Zeïneb. Il intégra le «kouteb» où il eut pour seul maître Cheikh Abdelaziz Achour. Il s'est marié à trois reprises avec Zoubeïda El Hakim (1931), Ikbal Nassar (1944) et Nahla El Qoudoussi (1958). Il a eu cinq enfants de son deuxième mariage: Aïcha, Iffat, Ismat, Mohamed et Ahmed. L'aînée de ses filles, Aïcha, est décédée quarante jours après la mort de son père au moment où elle suivait à la télé, un film de son père. 1917 - Mohamed Youssef, grand mélomane, le présentera à Faouzi Jazayerli qui exerçait sur la scène du Club El Masri. Avant cela, il avait travaillé dans la troupe d'Abdelkader Hijazi (fils de Salama Hijazi). 1918 - Il chante à l'entracte de la pièce de théâtre Achams al mochriqa présentée par la troupe Abderrahmane Rochdy. 1919 - Il rencontre pour la première fois le grand de la musique arabe Sayed Dérouiche (1892-1923) qui lui prédit un grand avenir dans la chanson. 1921 - Premiers enregistrements où il interprète deux chansons de Salama Hijazi (1852-1917) Ataytou fa laqaytouha sahira et Waylah ma h'îlati. 1922 - Il voyage avec la troupe de Néjib Rihani en Palestine, au Liban et en Syrie. On ne sait si c'est à partir de ce périple qu'il a commencé à nourrir une peur bleue des avions. 1924 - Il intègre le club de musique orientale qui deviendra l'Institut Foued 1er de musique arabe, où il apprendra à jouer du luth, grâce au grand maître Mohamed Kassabji (1892-1966), et les mouachahat et rythmes orientaux des mains de Dérouiche El Hariri (1881-1957) et Mahmoud Rahmi. La même année, le Prince des poètes, Ahmed Chawki Bek, est impressionné par Mohamed Abdelwaheb lorsqu'il interprète Ya Jadid nafsi hadhak de Mohamed Othman (1855-1900). Chawki prendra ainsi Abdelwaheb sous sa coupe. 1927 - Abdelwaheb achève la composition de l'opérette Cléopâtre, qu'il interprète aux côtés de Mounira Al Mahdia. La musique de la première partie de l'opérette a été composée par le mythique Sayed Dérouiche. 1929 - Abdelwaheb chante Fillil lama khlili (parole de Ahmed Chawky) où il introduit, pour la première fois dans un orchestre arabe, la contrebasse. C'était lors de la cérémonie d'ouverture de l'Institut de la musique arabe. 1933 : Il joue dans Al warda al bidha (La rose blanche). Le premier des sept longs métrages qu'il produit et où il joue en même temps. Il y a interprété 65 chansons, dont 13 en duo avec : Najet Ali, Leïla Mourad, Asmahane, Raja Abdou, Nour El Houda et Rakia Ibrahime. 1934 : Il chante Ah ya dhikra el gharam, texte de Ahmed Rami, à la cérémonie d'ouverture de la Radio du Caire, le 31 mai 1935 : Il interprète sa première longue chanson Nassim Arrabi, paroles de Ahmed Abdelméjid. 1952 : Il chante Nachid el horriya (le chant de la liberté), texte de Kamel Chenaoui. L'introduction musicale de cette chanson patriotique va servir d'ouverture au bulletin d'infos à la radio cairote. 1964 : (le 5 février) Inta omri est la première des dix chansons qu'il compose pour Oum Kalthoum, paroles de Ahmed Chafik Kamel 1978 : Il devient le premier musicien arabe à recevoir le Platine d'or de la société EMI. 1991 : (le 3 mai), il convoque sept médecins à son chevet. Il sentait que c'était déjà le bout d'un long itinéraire. Il demande à s'assoupir. Le maestro Ahmed Foued Hassen va lui rendre visite. Mais la femme de Abdelwaheb, Nahla El Qoudoussi, s'excuse, car son mari prenait sa sieste. Quelques instants plus tard, Nahla annoncera le décès du plus grand musicien du monde arabe.