Par Hamma HANACHI Retour sur la danse. Une semaine durant (du 1er au 6 mai), on a vu défiler de prestigieuses compagnies au Théâtre municipal, à l'espace Ness El Fen, au Mondial, au 4e Art et à Hammamet dans le cadre de Tunis capitale de la danse. Cette année, Tunis a accueilli le festival extra, organisée traditionnellement à d'Annecy, des partenaires solides pour présenter le meilleur de ce qui compte. Titre : Je danse donc je suis. De grandes figures de la danse au programme, des noms, des écoles différentes, des pointures de taille, le public, jeune dans l'ensemble, n'a pas manqué au rendez-vous, des spectacles de haute tenue. Des exemples : Jean Claude Gallotta revisite Daphnis è Chloé, Ravel a écrit la musique pour les ballets russes en 1912, Nijinski dans le premier rôle. Crossroads, d'Amala Dianor (Sénégal-France), superbe réflexion sur le mouvement, croisement de plusieurs rythmes, tumultes, confusion, gestuelles et unité du langage, Ketty Noël (Mali-Haïti) raconte l'histoire de Fanta Kaba, errance d'une femme dans un Bamako fantomatique, rues malfamées et bars pour clients interlopes, une femme, ivre et assoiffée d'amour qui va jusqu'au bout d'elle-même, émouvant! Du rythme soufi dans Vertical Road de Akram Khan, chorégraphe de renom, anglais d'origine bangladaise, là, les acteurs boivent dans la source de la méditation, le mysticisme de Mawlana Jalel Dine Roumi est convoqué pour 70 minutes de transe, danses indiennes, bûto, hip hop, rythmes hétérogènes, cadences variées, mouvements différents, soliloques, ambivalences, les déplacements, les contorsions au service d'une quête spirituelle et, l'extase au bout du chemin. Cette traversée est exprimée ainsi par Khan «la gravité vers la grâce». Sur scène huit danseurs, huit nationalités, pas de replis identitaires ici, mais une culture commune : l'art de danser. Beaucoup de compagnies, des rencontres fructueuses, à cette session, des contrats ont été signés, Tunis a acquis son statut de marché de la danse. ••••• Quelques jours avant les élections en France, passe d'armes entre Henri Guaino, éminence grise et plume de Sarkozy, républicain de droite, face à l'ancienne plume de Mitterrand, ancien révolutionnaire, actuel médiologue et philosophe de gauche, Régis Debray. Beaucoup de sujets évoqués à «Ce soir ou jamais» sur France 3. Debray est confiant de l'issue des élections, il attaque les affaires, la puissance de l'argent, la rive droite. Son interlocuteur défend sa cause dans la dignité, les chefs historiques de la France même ceux de gauche sont bourgeois, Mitterrand, Léon Blum, Clémenceau. Les deux tombent d'accord sur des sujets qui, habituellement, séparent; les intellectuels ont cette qualité de trouver toujours un terrain d'entente, Debray est pugnace. Les étrangers, un thème récurrent en période de campagne électorale, Guaino est en terrain balisé, il argumente sur l'identité, cite l'éloge des frontières (discours de Sarkozy) et rallonge la sauce, Debray l'arrête, une citation sans appel, elle est de Jacques de Bourbon Busset, écrivain (1912-2001), Les rives sont la chance du fleuve. Elles l'empêchent de devenir marécage. ••••• Fond ambré, visage couleur crème, cheveux vénitien qui cache un œil , une rose à l'oreille gauche, un trait noir pour l'œil droit, deux légères touches roses dessinent des lèvres fines, une pose de Madone, long cou, en bas du tableau, une guirlande de violettes qui grimpent au mur, le visage et la fleur à l'oreille sont fort illuminés, une chair prête à l'abandon, Lamine Sassi appelle ça Fleurs de grâce. Une vingtaine de tableaux, de formats différents, production 2012, Lamine a mis un puits de lumière dans sa palette, ses femmes très érotiques et des fleurs se sont éclaircies, il y a des roses, des jaunes de Naples, des orangés, de vert absinthe en coulis, moins de matière et des aplats précis. Cela nous éloigne des cauchemars du quotidien (à Cherif Fine Art). ••••• Beaucoup de danseurs tunisiens ont intégré des compagnies prestigieuses, des valeurs sûres qui dansent sur toutes les grandes scènes, ils sont chez Maguy Marin, Preljocaj ou chez Sidi Larbi Charkaoui, nombre d'entre eux sont issus de quartiers et de milieux pauvres, une école de danse à Tunis, des invitations, des stages de formation et la réussite au bout du chemin. Rencontre. Ahmed Khémis, danseur chorégraphe, tunisien, natif de Mellassine, d'origine modeste, deux ans en tournée, 150 représentations dans le monde avec Vertical Road, d'Akram Khan des éloges impressionnants, il soutient que Khan a cassé les codes de la danse, le brassage des identités se mêle à ceux des genres, la danse traditionnelle indienne, le bûto, le break dance, le hip hop se rencontrent dans un moment spirituel. A part la volonté de réussir et des encouragements, le bagage de Khémis, c'est son corps et la discipline. Il a fait ses écoles à Ness El Fen, continué sa formation au Centre national de danse contemporaine (Cndc) d'Angers. Aujourd'hui, les grandes compagnies se l'arrachent, il est en résidence de création —un solo— en France, à Genève et en Tunisie. Les secrets de la réussite? Du travail, encore du travail, l'apprentissage permanent, histoire de l'art en général, celle de la danse en particulier, les déplacements, les rencontres. La différence entre la chorégraphie en Occident et en Tunisie ? En Europe, les chorégraphes essaient de dégarnir l'écriture, d'aller à l'essentiel. En Tunisie, on a tendance à ajouter des fioritures pour la démonstration. En Europe, les chorégraphes élaguent, retranchent, ici, il y a comme un besoin de charger la description. En littérature le dépouillement du style, date d'il y a plus d'un siècle. Les vrais écrivains passaient leur temps plus à retrancher qu'à écrire ; Jules Renard, écrivain (1864-1910) pousse loin le bouchon, dans son journal, il note : «J'arrive à la sécheresse idéale. Je n'ai plus besoin de décrire un arbre ; il me suffit d'écrire son nom».