Par Lilia Ben Khedder On a beau dire, on a beau parler, on a beau faire, le sourire n'y est plus, le cœur est fatigué, l'âme est tourmentée, l'esprit est ailleurs : en effet, il ne reste plus grand-chose du CPR. Le CPR, une idée sans parti, une vision sans structures, des opposants coriaces à une dictature de plomb. Des hommes et une femme, le cœur (Om Ziad), l'âme (Dr Marzouki), l'esprit (Maître Ayadi ), les dirigeants fondateurs, épuisés par la lutte, l'exil, le combat quotidien pour survivre à un régime policier, harceleur, détracteur. Après le 14 janvier, ils se sont retrouvés, ceux qui ont combattu de l'intérieur et ceux qui ont combattu de leur exil. Celui qui les a réunis dans leur combat a pris la fuite, mais leurs outils sont restés, ébranlés , épuisés, mais prêts à rebondir... Il fallait réunir, agrandir le cercle, légaliser le parti, trouver des hommes et des femmes alliés à la cause, réunir, informer, être présent sur l'échiquier politique, communiquer. Une course contre la montre, une course vers la lumière, vers le pouvoir, vers la mort. Tracer des chemins, tisser des liens, fonder, construire, dans le tumulte, la joie, emportés par un courant d'espoir et de lueur. Des jeunes, brillants, très actifs sur les réseaux sociaux, créateurs, un brin d'humour, un brin d'enthousiasme. A les contempler de près, on a l'impression d'être en face d'une ruche d'abeilles bourdonnante, travaillant avec application et amour : ça me rappelait Hugo quand il écrit «Les abeilles impériales, filles de la lumière, abeilles envolez-vous de ce manteau «. Mais comme le miel attire, les ruches se sont multipliées et agrandies. Malheureusement, il n'y avait pas que des abeilles, ouvrières ou reines reproductrices, des bourdons et des guêpes se sont introduits dans les ruches. Quand les abeilles étaient occupées par le travail acharné, les guêpes fomentaient les guêpiers, et les bourdons bourdonnaient. La marche révolutionnaire vers la démocratie, cette période électorale, je l'ai décrite, sincèrement , comme je l'ai vécue, des jours merveilleux d'espoir et d'optimisme. Néanmoins, le CPR était victime de sa réussite, de son second rang aux élections : la victoire a fait tourner la tête à plein de gens... Point d'humilité, point d'effort pour continuer la marche vers la démocratie. La ruche s'est arrêtée de produire. Le feu, allumé pour enfumer et extraire le miel, a envahi les lieux : sauve qui peut, les guêpes ont tendu le piège, les abeilles ont fui, le bourdonnement continue, la reine s'est égarée et le miel est récolté pour être dégusté par d'autres palais. L'incendie s'est déclenché avec les négociations pour entrer dans la Troïka : les appétits se sont manifestés, les couteaux se sont aiguisés, une course effreinée vers le pouvoir s'est déclenchée, où les principes, les valeurs, les promesses vers les électeurs sont bafoués, oubliés... Quel gâchis ! Comme j'ai décrit sa marche révolutionnaire vers la démocratie, j'ai fait part de mes doléances concernant sa marche arrière vers la théocratie... Depuis son entrée dans le cercle du pouvoir, le CPR vit un traumatisme brusque, un choc houleux, allant vers sa disparition : il faut savoir passer par les mécanismes de deuil, ces trois étapes essentielles à la reconstruction. Certes, nous avons tous été en colère, nous avons contesté les négociations, nous avons rejeté les différents coups, les putschs répétés, l'exclusion, la guerre des clans, le sectarisme, l'intolérance. Après, nous sommes entrés dans la deuxième phase, à savoir le découragement, la tristesse, le nihilisme. Il est temps de franchir la troisième et dernière étape pour passer à la reconstruction : il faut savoir accepter, projeter et regarder devant soi pour tirer les conclusions de ses erreurs, de ses hésitations et de ses expériences... S'attarder au niveau de la deuxième phase nuirait à tout le monde. Serait-il nécessaire, avant de faire son deuil, de dresser le bilan et de tirer les conclusions: - Evaluer les élections, - Evaluer les négociations, - Dresser le bilan financier, - Evaluer le travail du président au sein de la Troïka, - Evaluer le travail des membres CPR au sein du gouvernement, - Evaluer le rôle des membres du Bureau politique et des différents secrétaires généraux, - Evaluer le travail des membres de la Constituante, - Dresser le tableau des propositions du CPR au sein de la Constituante et des différentes commissions. - Enfin, évaluer les différentes interventions des membres du CPR au sein de la Constituante, Vous verrez : il n'existe aucune ligne directrice... Il y a autant de CPR que de membres : le CPR est un rêve, une ambition, une virtualité à l'instar de Facebook, qui a fait son succès. En effet, le CPR, du temps de Zaba, n'est pas le CPR des temps de la révolution, et le CPR de la Troïka n'est plus le CPR des temps des élections... Adieu le CPR ! Mais vive la démocratie, vive la Tunisie.