Par Zouhair El KADHI (Dr en Economie) Dans une économie, l'investissement est une grandeur fondamentale. Il constitue en effet une variable-clé pour apprécier la vitalité d'une économie et, au-delà, d'une société toute entière. Le dynamisme de l'investissement est ainsi souvent considéré comme un signe de bonne santé, comme un révélateur très significatif de la confiance de la société et de ses acteurs en l'avenir et de leur capacité d'innovation. Car de l'investissement d'aujourd'hui dépend non seulement la production de demain mais aussi les équipements collectifs dont chacun sait qu'ils contribuent largement au niveau de satisfaction de la population dans son ensemble. Or, l'évolution de l'investissement dans l'économie tunisienne est préoccupante. Repart-il ? Ne repart-il pas ? L'investissement hésite. On comprend que les entreprises hésitent. Elles subissent dès à présent les effets du ralentissement de l'économie mondiale et en particulier de l'économie européenne. Au-delà de ce ralentissement, c'est l'incertitude qui règne dans le pays et qui décourage l'investissement. Mais si l'investissement ne repart pas rapidement, cela pourrait s'avérer une catastrophe pour l'économie tunisienne. Aujourd'hui, la consommation risque de ne pas suffire à soutenir l'activité globale. Le risque est de voir l'emploi se dégrader à nouveau et, avec lui, les revenus distribués aux ménages, débouchant sur une phase de ralentissement généralisé. Tous les espoirs de baisse du chômage seraient alors étouffés. Nous n'en sommes cependant pas encore là. Il n'est pas inutile de rappeler que l'investissement est un moyen essentiel par lequel une société construit son avenir. Toutefois, le comportement d'investissement des entreprises dépend des perspectives d'évolution de la demande, du niveau de profitabilité mais aussi de la vitesse de diffusion des technologies de l'information et des communications, enjeu majeur pour les prochaines décennies. En tout état de cause, l'investissement doit être redynamisé. Il en va notamment de l'élévation de la croissance potentielle et de la pérennité de la compétitivité du pays. Comment redynamiser l'investissement en Tunisie? A court terme, et même si la politique de l'investissement soulève des problèmes complexes, elle est plus qu'importante. Seul l'investissement peut garantir la création de richesse et d'emploi. On se demande souvent si les mesures fiscalo-sociales sont efficaces ? On peut distinguer trois catégories de politique budgétaire destinées à favoriser l'investissement : les aides fiscales, les aides financières directes et la relance budgétaire des investissements. Ce dernier mode d'intervention paraît peut-être dépassé mais peut se révéler intéressant dans le contexte actuel. Aujourd'hui, une politique de l'investissement optimale doit passer par une action sur l'environnement des entreprises, principalement sous forme de mesures fiscales au premier rang desquelles l'abaissement progressif du taux de l'imposition sur les sociétés. De même, les incitations fiscales à l'investissement se présentent sous des formes variées : taux d'intérêt ou taux d'imposition préférentiel pour certains projets, possibilité de mettre en place des procédures d'amortissement accéléré, déductibilité des intérêts d'emprunt ou crédits d'impôt...Toutes ces mesures ont en commun d'alléger le coût du capital. A très long terme, il faut chercher d'abord à conforter, puis à améliorer la position de la Tunisie dans les technologies de l'information. La période de croissance de l'investissement et de croissance économique qu'ont connu les pays émergents d'Asie au cours des années 1990 a montré le rôle spécifique joué par la diffusion des technologies de l'information. Cette diffusion a été facilitée par la diminution des coûts pour bénéficier de ces technologies. Il importe que notre pays entre dans une telle dynamique. A cette fin, il faut encourager la concurrence et l'innovation dans les secteurs producteurs, favoriser les baisses de prix de certains services publics, notamment en matière de télécommunications, d'accès à Internet. Il importe également de continuer à encourager d'orienter l'épargne vers les secteurs des nouvelles technologies dont les besoins de financement demeurent considérables. Ensuite, il faut préserver la profitabilité des entreprises tunisiennes. En effet, la plupart des travaux de recherche concluent qu'un des principaux déterminants de la décision d'investir est la profitabilité du capital. En effet, la profitabilité est la différence entre la rentabilité du capital, qui mesure le rapport des profits nets d'amortissement au stock de capital et le taux d'intérêt réel. Exprimé autrement, cela signifie que le retour attendu de l'investissement doit être tel que la rémunération du capital soit supérieure à celle qui serait attendue sur les marchés financiers, couvrant ainsi la prime de risque associée à chaque investissement. Pour les entrepreneurs, une forte profitabilité est nécessaire pour accepter de prendre le risque de se trouver en surcapacités de production avec des coûts fixes supplémentaires. En conséquence, toute politique économique de nature à préserver ou améliorer la profitabilité des entreprises favorise également l'investissement. Il existe de multiples moyens d'améliorer la profitabilité. Un premier canal est celui de l'augmentation de la rentabilité économique, un second canal repose sur la baisse des taux d'intérêt réels. La rentabilité économique, rapport entre la rémunération du capital nette de son amortissement au stock net de capital, mesure la performance économique du point de vue de l'entreprise. La rentabilité économique croît avec le taux de marge (ou le taux de profit) ainsi qu'avec l'efficacité productive du capital. Toute politique visant à l'amélioration des marges des entreprises (baisses des impôts indirects, baisse des charges sociales) ou visant à la préservation des profits (baisse des impôts directs) est donc de nature à améliorer la rentabilité du capital et favorise l'investissement des entreprises. La modération salariale constitue également un enjeu important du maintien de la rentabilité des entreprises et favorise l'emploi et l'investissement. Enfin, les baisses des taux d'intérêt réels constituent un déterminant non moins important de la décision d'investir. La Tunisie dispose de beaucoup d'atouts pour une croissance durable mais il faut, pour y parvenir, mettre en œuvre l'articulation adéquate des différents volets de politique économique. En revanche, la Tunisie a un grand besoin de renouvellement de son stock d'équipement et doit donc se fixer comme priorité de maintenir le coût du capital à un niveau compatible avec cette exigence. Enfin, il est nécessaire d'améliorer la concurrence sur les marchés de biens et les services financiers. En effet, toute aussi importante pour le renouvellement des capacités productives est la qualité de l'articulation entre politiques structurelles et politiques macro-économiques. Les réformes structurelles, qui demeurent l'une des priorités majeures du gouvernement, permettent de renforcer le potentiel de croissance de l'économie, soutiennent la demande et incitent les entreprises à améliorer leur profitabilité. Il appartient au gouvernement de mettre en œuvre les mesures structurelles et à la Banque centrale de mettre en place leur accompagnement monétaire. Cela nécessite d'établir un cadre conceptuel sur les objectifs et les moyens d'un cercle vertueux de croissance durable.