Les déclarations exprimées, hier, par le Syndicat des magistrats tunisiens faisant part de son projet de loi portant création de l'Instance provisoire de la magistrature (qui vient d'être soumis à l'Assemblée nationale constituante) considérant qu'il ne répond pas aux normes internationales et qu'il ne garantit pas l'indépendance de la future instance appelle certains éclairicssements, compte tenu de l'importance et de la délicatesse du dossier. Qu'en est-il des critiques adressées par le syndicat au projet de loi, plus particulièrement, pour ce qui est de la présidence de l'instance provisoire qui sera assurée par le ministre de la Justice ? Est-il vrai que le projet de loi en question ne consacre pas l'indépendance de la magistrature comme le souligne le syndicat, et que les nominations qui y sont contenues ouvriront la voie aux allégeances et au clientélisme ? Pour en savoir plus, La Presse a posé ces deux questions fondamentales et bien d'autres à Fadhel Saihi, chargé de mission auprès du ministre de la Justice et membre de la commission de concertation qui a planché durant près d'un mois pour la mise en œuvre du projet de loi sur la future instance provisoire de la magistrature. «D'emblée, le projet de loi soumis à l'Assemblée nationale constituante constitue la synthèse des travaux d'une commission nationale groupant toutes les composantes de la famille judiciaire élargie (magistrats, huissiers notaires et de justice, avocats, enseignants de droit, experts -comptables etc...) qui ont travaillé dans un cadre de concertation et de consensus, dans la mesure où l'étape par laquelle passe notre pays commande l'entente et la cohésion afin de passer de la phase de la lutte et des tiraillements à celle de l'harmonie et de la symbiose. Et c'est dans cet esprit que le ministère de la Justice a tenu à faire participer toutes les composantes du système judiciaire dont en premier les magistrats. Seulement, il convient de remarquer que l'Association des magistrats tunisiens (AMT) n'a assisté à aucune des réunions de la commission de concertation bien qu'elle y ait été invitée. Quant au syndicat des magistrats tunisiens (SMT), il a participé à toutes les séances de travail de la commission et a approuvé le texte du projet de loi tout en exprimant certaines réserves à propos de la présence au sein du conseil des magistrats de cinq personnalités nationales n'appartenant pas au corps de la magistrature et qui seront désignées par l'Assemblée nationale constituante». La transparence, notre objectif majeur Restent, maintenant, les éclaircissements sur la composition de l'Instance provisoire de la magistrature que le syndicat des magistrats tunisiens considère comme contraire à l'indépendance de la magistrature et aux normes internationales, particulièrement en matière de transparence. Fadhel Saïhi commence par faire remarquer «qu'il faut remarquer que l'Instance provisoire pour la magistrature se compose de trois conseils : – D'abord, le conseil de discipline qui se compose de 6 magistrats, dont quatre en leur qualité et deux élus et appartenant au même grade que le magistrat déféré devant le conseil. Le respect du principe de la transparence commande qu'il y ait au sein du conseil des magistrats non-élus qui assurent la mission de contrôle ou de garde-fou pour éviter que les décisions qu'il émet n'obéissent à des considérations électoralistes ou servent des intérêts corporatistes. Notre objectif est de nous opposer à la culture corporatiste et à ceux qui feront prévaloir leurs intérêts personnels. – Ensuite, le conseil des magistrats dont la mission consiste à décider des désignations, des promotions et des mutations. Il est présidé par le président de la Cour de cassation et se compose de 6 magistrats élus et de 5 autres, en leur qualité (le président de la Cour de cassation, le procureur général de la République auprès de la Cour de cassation, le procureur général de la République, le directeur des services judiciaires, l'inspecteur des services judiciaires et le président du Tribunal immobilier). La présence de magistrats non élus au sein de ce conseil a pour ambition de faire en sorte qu'il ne se transforme pas en une structure de concrétisation des promesses électorales que les candidats seraient tentés d'avancer afin de gagner la confiance de leurs collègues électeurs. — Notre objectif est qu'il y ait un certain équilibre au sein de ce conseil de manière à fermer la porte aux décisions de complaisance ou de promotion pour services rendus. D'ailleurs, dans plusieurs pays comme l'Espagne, l'Italie, le Portugal ou la France, les membres constituant cette structure sont tous, pratiquement, désignés, avec la présence de personnalités dites compétences nationales et n'appartenant pas à la magistrature. — Enfin, le conseil des affaires de la justice, présidé par le ministre de la Justice et ayant pour rôle d'exprimer son avis à propos des projets de loi à soumettre à l'ANC et de participer à la mise en œuvre de la politique juridique générale. Cette structure groupant l'ensemble des composantes du système juridique est à considérer comme une institution de consultation et de concertation permanente. Notre ambition est que la concertation soit institutionnalisée et ne dépende plus du bon vouloir du ministre». Fadhel Saïhi tient à souligner en conclusion : «Nous œuvrons en vue de la création d'un pouvoir judiciaire équilibré en son sein et vis-à-vis des autres pouvoirs. Il est primondial que la justice préserve sa neutralité et son indépendance et qu'elle demeure au service du peuple, rien que du peuple». Le SMT dénonce la mainmise de l'exécutif Le projet du ministère de la Justice pour la création d'une instance provisoire de l'ordre judiciaire «consacre la mainmise de l'exécutif et de l'Assemblée constituante», a estimé hier la présidente du syndicat des magistrats tunisiens, Raoudha Laâbidi. Les magistrats tunisiens sont fermement attachés à l'indépendance du pouvoir judiciaire et dénoncent les récentes nominations qui ouvrent la voie aux comportements d'allégeance, a affirmé la présidente du syndicat dans un entretien avec l'Agence TAP. Selon Mme Laâbidi, le projet du ministère de la Justice stipule que cette instance provisoire sera présidée par le ministre de la Justice alors que la désignation de ses membres sera du ressort de l'Assemblée constituante. Le projet est conçu, a-t-elle dit, de manière à ce que le pouvoir judiciaire soit placé en permanence sous l'autorité et le contrôle des pouvoirs exécutif et législatif. L'instance provisoire, a-t-elle dit, poursuivra ses activités conformément à la loi en date du 14 juillet 1967 relative à l'organisation judiciaire, au Conseil supérieur de la magistrature et au statut des magistrats. Le projet de loi soumis à l'Assemblée constituante, a-t-elle encore estimé, «consacre l'hégémonie du pouvoir exécutif sur la magistrature et favorise le mode de nomination de ses membres plutôt que leur élection».