• «Trop tard», déclare Lotfi Zitoun à La Presse Dans une atmosphère générale de fortes inquiétudes dans le pays, le Parti républicain par la voix de sa secrétaire générale Maya Jribi, a appelé hier matin au cours d'une conférence de presse, à la constitution d'un cabinet restreint de salut national, composé de compétences en dehors de tout quota politique, pour «sauver le pays». Cet appel surfe adroitement sur le sentiment d'incertitude qui traverse une partie de la population après une semaine compliquée, euphémisme, où on a eu l'impression de voir le pays s'embourber dans les menaces de jihadisation du pays. Au moment où des secteurs essentiels à la transition tels que la police, la justice ou encore les médias contestent la manière dont le pays est tenu. Une situation économique préoccupante: dégradation de la note souveraine par Standard&Poor's, tourisme chancelant. Les indicateurs sociaux du chômage et du pouvoir d'achat virent au rouge. Dans cette situation, Maya Jribi et Yassine Brahim, respectivement secrétaire générale et secrétaire exécutif du parti El Joumhouri, interrogés par La Presse, ont appelé à la formation d'un gouvernement de salut national ». Yassine Brahim : «Nous tendons la main» M. Yassine Brahim, secrétaire exécutif du parti El Joumhouri, estime que le pays se trouve à un tournant critique et que la classe politique doit prendre ses responsabilités pour réussir cette deuxième phase transitoire, sinon ce sera un échec cuisant pour tout le monde. «Nous tendons la main, déclare-t-il, aux partis proches de nous et à la Troïka pour construire ensemble». Le souhait de ce centralien, c'est un cabinet de salut national, restreint, composé de compétences, et non pas compare-t-il : «Une pléthore de ministres avec une inefficacité dans les prises de décision et l'inefficience dans l'exécution des programmes». Les sujets clés, selon lui, c'est de faire tourner l'économie, exécuter les décisions d'une manière efficace, régler les problèmes du terrorisme, instaurer l'Etat de droit. Il ajoute : «Nous devons donner l'image d'un consensus qui va sortir le pays du trou dans lequel il est en train de s'enfoncer». Conduire les affaires d'un Etat n'est pas un jeu Il s'étonne: «L'un des conseillers du président de la République, qui représente l'un des trois partis de la Troïka, appelle à la chute du gouvernement, ce qui n'est pas notre objectif, nous opposition. Nous nous posons des questions. Est-ce que ces gens-là agissent en leurs noms propres, ou au nom de la présidence, au nom du CPR ? Si c'est une initiative personnelle, le président de la République doit prendre ses responsabilités et démettre de leurs fonctions les conseillers qui critiquent le gouvernement. Il y a une incohérence et l'image du pays est affectée. Ce n'est pas un jeu de prendre des responsabilités dans les plus hautes instances de l'Etat, ce n'est pas un jeu de conduire les affaires d'un Etat postrévolutionnaire, qui a besoin d'être fort et bien géré. Le pays est en situation de danger et il est temps de retrousser les manches tous ensemble pour trouver une solution». Serait-ce donc un gouvernement de technocrates auquel vous appelez de vos vœux ? « Mais il y a des choix politiques, répond cet ex de Afek, même si c'est un gouvernement de technocrates, une appellation à laquelle je ne suis pas favorable, il faut trouver un accord sur les questions fondamentales de la Constitution, sur l'Isie, sur la loi électorale, sur la justice transitionnelle qui tarde beaucoup à se mettre en place. Et ce sont des accords politiques». Maya Jribi : «J'en appelle à tous les patriotes» Le pays va mal et la situation sécuritaire se dégrade tous les jours, c'est par ces mots durs que Maya Jribi entame sa déclaration au journal La Presse. Elle énumère: «Des groupes sèment la terreur, s'attaquent à des institutions publiques, médiatiques et aux personnes physiques. Les Tunisiens ont peur pour leur sécurité. La situation sociale ne se porte pas mieux, elle est explosive, des sit-in et des grèves un peu partout. La situation politique est tout aussi mal lotie, aucune feuille de route n'est visible et, enchaîne-t-elle, dans ce contexte survient la dégradation de la note souveraine de la Tunisie, qui n'est pas une surprise mais traduit une situation réelle. Ce qui est d'autant plus grave, juge-t-elle, c'est la réaction du gouvernement qui laisse voir une incapacité de remédier à la situation et de relever les défis: faire baisser le chômage, relever l'économie et préserver les libertés individuelles qui sont menacées». Le pays risque de sombrer, il faut le dire clairement, martèle-t-elle, il faut assumer ses responsabilités pour préserver les institutions de l'Etat. Face à cette situation, il s'agit de réunir un gouvernement de salut national composé de compétences, et restreint pour ne pas dilapider les biens publics. Un gouvernement qui se base sur l'administration contrairement à ce gouvernement qui écarte les compétences et qui ne jure que par l'hégémonie. «La Constituante doit activer son rythme, et remettre ses travaux à une date hautement symbolique, le 23 octobre, pour organiser les élections à une date autrement symbolique, le 14 janvier. C'est un package de sauvetage du pays aussi nécessaire que possible, et j'en appelle à tous les patriotes pour adhérer à ce programme qui n'est pas un programme partisan mais un programme national», conclut-elle. M. Lotfi Zitoun : «Trop tard» Le conseiller politique du chef du gouvernement, M. Lotfi Zitoun, oppose une fin de non-recevoir à l'appel du Parti républicain. «La gauche tunisienne se fonde sur des rapports d'une haute enseigne du capitalisme mondial, cette institution qui a validé les crédits empoisonnés et qui est directement responsable de la crise mondiale. Cela m'étonne d'un parti qui se déclare de gauche de prendre de telles positions pour s'attaquer au gouvernement et pour induire l'opinion publique en erreur et annoncer que le pays est au bord d'une catastrophe. C'est faux, tranche-t-il, nous avons la même classification que la Turquie, BB, et au niveau du monde arabe, en dehors des pays exportateurs de pétrole, nous sommes classés deuxième avant l'Egypte». Et il enchaîne: «Dans la situation que vit la Tunisie, on est appelé à se détacher quelque peu des directives de la Banque mondiale pour s'occuper de la pauvreté et traiter le problème du chômage». «Autre chose, cet appel à un gouvernement de salut national nous rappelle, se souvient M.Zitoun, l'acceptation du parti que Maya Jribi présidait au dernier jour du régime Ben Ali. Même à cette époque, ils avaient lancé l'appel à un gouvernement de salut national». «Je tiens à leur rappeler, poursuit-il à l'adresse des initiateurs d'El Joumhouri, par ailleurs, que ce gouvernement ainsi qu'Ennahdha avaient la porte ouverte pour former un gouvernement de salut national. Eux, ils avaient choisi les rangs de l'opposition. Maintenant, au cours de ce long parcours de six mois, nous sommes au cœur de la transition démocratique. Ces gens-là n'ont pas joué le rôle d'opposition constructive, mais depuis le premier jour, ils ont appelé à retirer la confiance du gouvernement». «Cet appel, à supposer qu'il soit sincère, il vient trop tard, leur répond le conseiller, le gouvernement poursuit son programme. Ce discours constitue une perturbation de la transition démocratique. Et il lance un appel direct : «J'appelle Maya Jribi que je respecte à jouer un rôle constructif et travailler sur la consolidation de l'opposition et se préparer aux prochains rendez-vous. Parce que c'est une menace pour la transition démocratique que cette opposition soit autant faible et dispersée. Ces partis qui n'ont même pas réussi à assurer l'union de leurs formations, ou à former des formations politiques unies dans la vision et l'esprit, comment pourraient-ils constituer un gouvernement d'union nationale?, se demande-t-il, ils auraient pu donner l'exemple d'abord au niveau de leur parti», se répond à lui-même M.Zitoun. La situation du pays ne permet pas d'atteindre les prochaines échéances ni de réaliser les programmes «Le salafisme est un fléau mondial et nous sommes en train d'œuvrer pour éviter au pays ce qui s'est passé dans d'autres, qui n'ont pas su gérer ce phénomène. Il y a des interpellations à Jendouba et à Ghardimaou. Ceux qui n'ont pas respecté la loi seront déférés devant la justice. A partir du moment où ils vivent dans ce pays, ils acceptent ses lois, bon gré mal gré, lance-t-il ferme. Et il enchaîne : « Nous avons une approche légale avec le salafisme. Mais cet Etat est fort pour contrecarrer ces phénomènes qui sont étrangers à nous et ne sont pas spécifiques à la Tunisie. Nous voulons éviter à la Tunisie de basculer dans la violence, mais ceux qui appellent à traiter le salafisme superficiellement, se limitant à la solution sécuritaire, ce sont eux qui vont conduire le pays à la dérive sécuritaire». «Mais il faut que tout le monde sache que l'Etat et ses institutions s'opposeront et avec virulence à tous ceux qui dénigrent la loi. Mais il n'y a pas que le salafisme, il y a les grèves, les barrages de routes, les sit-ins, le sabotage du travail dans les instituions. Nous traiterons avec tout ça et l'Etat imposera la suprématie de la loi sur tous ceux qui perturbent la marche du pays, les saisons touristique et agricole, ou encore le bon déroulement des examens. L'Etat est le garant des libertés individuelles, et rien n'a changé dans nos convictions», rassure le ministre conseiller en concluant. Après l'appel d'El Joumhouri, l'Ugtt a lancé également hier en fin d'après-midi sur sa page Facebook officielle une initiative de concorde nationale en direction de tous les partis et de la société civile appelant à l'assainissement du climat politique pour sauver le pays. La volonté de concorde nationale semble gagner du terrain mais elle reste, pour l'heure, devant la porte d'entrée de la Troïka.