Madame Attia Khattab, l'épouse d'Ahmed Ramy, le grand poète d'Oum Kalthoum, a vécu avec sérénité l'amour de son mari pour la Diva qui n'était plus un secret pour personne. Malgré cette passion profonde, leur union continuera normalement dans le respect et la tendresse. Voici le récit fait par l'épouse du poète de la jeunesse et l'amour. Déjeuner ensemble Racontant d'abord l'histoire de son mariage avec Ramy, elle dit : «A l'origine, nous sommes des parents. Le grand-père de Ramy est le mari de ma tante. La mère de Ramy venait très souvent chez nous, car notre maison se trouve à quelques centaines de mètres de la leur. C'est ainsi que sa sœur a demandé ma main. D'abord, j'ai refusé avant de donner mon accord. Le 3 septembre 1934, on a célébré les fiançailles, puis le mariage le 19 février 1935. Auparavant, j'avais refusé plusieurs soupirants parce que je tenais à terminer mes études. Ce n'était certes pas le grand amour. Je savais aussi qu'il écrivait déjà les textes pour les chansons d'Oum Kalthoum. On m'avait prévenue sur le coup qu'il aimait la diva et que je ne pouvais épouser un homme qui entretenait une telle relation avec un monument semblable. Je leur répliquais que Ramy aimait entendre ses poèmes et textes de la bouche d'Oum Kalthoum, et que cela s'arrêtait là. En fait, l'amour était né du fil de leur fréquentation parce qu'il allait très souvent la voir. Il lui apportait des bouquins à lire, parce qu'elle avait le souci constant de se cultiver. Chaque lundi, il allait la voir pour un bref moment. Parfois, il prenait le déjeuner avec elle. Cela ne pouvait nullement me gêner». Jaddidti hobak lih m'a mise en colère «Notre mariage a été célébré chez moi, aux jardins d'El Kobba. Oum Kalthoum y a chanté trois chansons dont les paroles sont de Ramy. Il n'y avait pas d'autres artistes parce que la cérémonie était tout à fait familiale. Sur proposition de mon époux, nous sommes allés, moi et Ramy, chez Oum Kalthoum, à Ezzamalek, la remercier pour avoir chanté pour nous gratuitement, bien sûr. Car, en retour, Ramy ne recevait pas un sou pour les poèmes qu'il lui écrivait. Moi, cela ne me gênait pas trop. Nos enfants lui posaient parfois des questions à ce sujet. Il leur répondait que s'ils avaient besoin d'argent, il leur en donnerait. Car Ramy traduisait des pièces pour le théâtre et était payé en conséquence. Par ailleurs, il était payé pour les textes qu'il écrivait pour Abdelwaheb et Leïla Mourad. Attia Khattab s'insurge contre une rumeur qui a circulé lorsque «Thouma», se maria avec le musicien Mahmoud Chérif. «On a raconté que le jour de leur mariage, mon mari était sorti en colère. Et ce n'était qu'une fois dans le métro qu'il a découvert qu'il était toujours en pyjama. Toute cette histoire, c'est du mensonge. En fait, les médecins ont donné des conseils à Oum Kalthoum pour ses problèmes de vue. Seul Mahmoud Chérif demanda sa main. Mais leur union ne dura pas plus de trois mois lorsqu'elle découvrit qu'il n'avait pas encore divorcé de sa première femme, elle se sépara de lui». Seulement, Attia Khattab reconnaît sa colère et sa peine lorsque Ramy écrivit pour l'astre de l'Orient son chef-d'œuvre Jaddidti hobak lih? . Sur le coup, ma mère m'a dit beaucoup de choses. Je suis allée dormir sans finir par écouter toute la chanson. Tout comme ma mère, cette chanson m'a mis en colère. A son retour de la salle où chantait la Diva, mon enfant Mohamed lui a dit : «Ma mère et ma grand-mère sont allées dormir très mécontentes». Je ne sais pas s'il a dormi cette nuit-là, car il le fait dans une chambre à côté de la mienne. Le matin, il a demandé à mes enfants de nous réconcilier. J'ai refusé d'aller le voir. Mais il est venu dans ma chambre pour me dire : «Toutes ces paroles, je les ai écrites, pour toi!». Je l'ai cru. Pourtant, il ne m'avait jamais lu ces paroles. En fait, je n'ai jamais ressenti de la jalousie parce je n'avais aucun soupçon sur leur relation. Tout ce qu'il me racontait sur le compte d'Oum Kalthoum, concernait leur travail. La relation de Ramy avec elle ressemblait à celles entretenues par tout son entourage et qu'on a pu voir dans le feuilleton. Ahmed ne nous laissait jamais manquer de quoi que ce soit. Il était très attentionné et nous prenait régulièrement dans des promenades. Il était tendre et généreux. Et tout le monde l'aimait». «Les pigeons relâchés par Ramy» Mme Attia Khattab raconte que Ramy n'apportait jamais de cadeaux de ses voyages à l'étranger pour Oum Kalthoum. La réciproque était vraie aussi. «La Diva ne venait que rarement chez nous. Juste dans les grandes cérémonies. Au mariage d'Ilham, par exemple, elle a chanté Hayarti albi maak. A l'occasion de nos noces d'argent, elle était aussi venue nous chanter Hajartek. Elle a aussi chanté à ma demande (Lissa faker ken zamen), écrite par Abdelfattah Mostapha. Pourtant, la chanson que nous préférions tous, c'était Rak el habib. Par la suite, j'ai tellement aimé Wa marrét al ayam, à tel point que j'ai acheté la cassette de cette chanson. Kalthoum a rendu également visite à mon époux lorsqu'il était entré à l'hôpital. Si un siège était réservé au premier rang pour Ramy lors des concerts de Kawkeb Echarq, il n'y en avait pas un à côté, réservé à Mme Ramy. Celle-ci s'explique‑: «Je n'allais que très rarement dans ses concerts. Et ces fois-là, j'étais accompagnée de mes amies qui me réservaient une place. Ahmed ne voulait pas qu'on dise de lui qu'il réservait dans telle rangée pour lui et pour sa famille. Même notre fils Mohamed réservait avec ses copains avec lesquels il allait aux concerts donnés par la cantatrice. En tout cas, je ne lui ai jamais demandé de l'accompagner. Juste au retour, nous rentrions ensemble». Attia Khattab se rappelle de 1967, l'année de la “naksa” (la défaite). Cette même année, sa fille Ilham s'est mariée, Tawhid est parti aux Etats-Unis et Mohamed pour ses études à Liverpool. Elle raconte‑: «Ramy me disait qu'il avait l'impression d'avoir vu grandir des pigeons avant de les libérer. Il était déprimé. Il a fallu recourir à un psychiatre le matin du mariage de notre fille Ilham. Tout le monde a tenté de le convaincre d'aller changer d'air à Alexandrie, mais il a refusé. Donc, ce n'est pas la maladie d'Oum Kalthoum qui a provoqué chez lui cette dépression. Car cette maladie surviendra huit ans plus tard. Ramy a vécu dans cet état de mélancolie quinze bonnes années». Mme Ramy porte toujours dans son cœur le deuil d'un personnage d'exception. «Il m'arrive de me réveiller en pleine nuit et de pleurer en pensant très fort à lui, raconte-t-elle. C'était l'être le plus tendre au monde. Un cœur en or!».