Par Rejeb HAJI «Les décisions politiques peuvent longtemps galoper, sans encourir la dure sanction des faits; mais il n'en est pas de même pour l'économie», Alfred Sauvy Depuis des mois, de l'autre côté de la Méditerranée, en France précisément, se déroule une campagne électorale dont l'objectif est de choisir les futurs dirigeants du pays. Ces élections peuvent-elles nous intéresser? Sont-elles sans répercussions sur notre environnement politique, économique et social ? Peut-on s'inspirer de leur démarche pour choisir nos futurs meilleurs candidats ? Pour mieux répondre à ces interrogations, il serait nécessaire de revenir brièvement sur la préparation de ces élections et sur leur déroulement, dans le temps et dans l'espace. Chaque parti a cherché à dénicher la personne la mieux placée pour gagner et rallier une majorité confortable, capable de réaliser le projet présenté aux électeurs. Durant le premier tri des candidatures, de nouvelles expériences ont été tentées : celles des socialistes et celles des écologistes. Toutes les deux visent à tirer des leçons du passé en cherchant à rénover la politique du présent. Pour ces deux partis, des élections primaires ont été organisées. Intéressons-nous à l'expérience socialiste, en tout point comparable à la nôtre. Le premier objectif retenu par les dirigeants était de préparer un projet crédible. Des mois de travail ont été nécessaires. Tous les militants socialistes, à tous les niveaux, ont été mis à rude contribution. Ils ont même fait appel à des expertises reconnues, sans distinction d'appartenance à une idéologie quelconque. Il fallait imaginer les solutions réalistes et réalisables, conformes à l'objectif du socialisme qui, d'une part, reposent sur une organisation juste et équitable de la société et, d'autre part, répondent aux vœux de leurs concitoyens, dont la priorité est l'emploi et la sécurité. Deux objectifs valables pour la recherche du modèle de développement de notre pays. Une organisation transparente Une fois le document de référence rédigé, il fut soumis au vote et retenu par l'ensemble des militants, comme le projet du candidat. Ce fut ensuite au tour du choix du porte-drapeau, celui qui est capable de battre le candidat sortant. C'est sur cette deuxième séquence que nous allons porter notre réflexion. Elle est en mesure de nous intéresser pour l'avenir dans la construction de notre démocratie naissante et, surtout, pour empêcher le populisme, l'électoralisme et l'incohérence de prendre racines dans notre pays. L'organisation d'une primaire entre les prétendants a été retenue par les socialistes. C'est une solution à risques, puisque a priori difficile à réaliser. Le Parti socialiste, avec toutes ses composantes, a appelé tous les électeurs inscrits sur les listes électorales, quelle que soit leur appartenance politique, moyennant le paiement symbolique d'un minimum d'un euro, à choisir un candidat parmi les six prétendants qui se sont présentés. L'objectif poursuivi étant d'avoir le candidat préféré des Français. Durant des mois, les candidats se sont affrontés sans merci. Une lutte fratricide, des débats organisés et retransmis en direct par les médias. La base de leurs projets respectifs fait référence à celui élaboré en commun. L'organisation d'un vote est venue couronner de succès toute cette bataille aux multiples facettes : 10.000 bureaux de vote ont accueilli près de 2,5 millions d'électeurs pour le premier tour. Puis ce fut la troisième séquence, celle du choix du candidat final. Les deux candidats les mieux placés se sont affrontés pour un second tour. Des coalitions, des rapprochements et des tractations avec les vaincus mais également des programmes et de leur fiabilité ont fait la différence entre les deux antagonistes. A nouveau, la procédure de désignation ne laisse pas indifférent. En effet, l'exigence de la garantie de transparence a été à l'origine de l'apparition d'un stylo électronique dans les bureaux de vote. Equipé d'une caméra, qui prend environ 80 photos par seconde, il transmet, en instantané, le vote vers le système informatique. Le résultat final a été sans appel, ni contestation. Les millions de votants qui se sont rendus aux urnes ont choisi François Hollande comme leader et tous les autres prétendants se sont rangés derrière lui pour lui prêter main-forte. Ils ont eu gain de cause et ce fut leur candidat qui a été élu à la présidence ! Quelle belle leçon de démocratie à méditer pour nous autres, et c'est une première raison qui pousse à nous intéresser à ce qui se fait en dehors de nos frontières ! D'autres raisons objectives pour s'y intéresser Une première raison, et non des moindres, concerne la préparation de ces élections. Aujourd'hui, considérant que notre pays est en danger, notre devoir à tous est de rapporter à l'opinion les réussites des expériences des autres. Elles devraient nous aider à progresser et à nous reconstruire. Pour leurs élections, les Français ont consacré quatre journées électorales où les bureaux de vote, situés dans des locaux publics ou des salles de classe avec 1.000 électeurs par bureau et deux personnes (2 équipes pour une journée de 12 heures) pour surveiller, enregistrer et faire signer les votants. Le coût total pour l'Etat a été évalué à 122,3 millions d'euros pour les législatives. Pour ces dernières, les candidats impriment leurs bulletins et peuvent se faire rembourser ces frais s'ils obtiennent au moins 5% des suffrages exprimés au premier tour. Ces données sont à comparer avec les dépenses de nos élections, dont le coût, connu en catimini, est encore non divulgué ! Une autre raison a trait à nos concitoyens qui vivent en France. Rien que ceux qui étaient inscrits pour prendre part aux élections de la Constituante (183.735 : chiffre cité par l'Isie dans son rapport, parmi lesquels 68,5% se sont rendus aux urnes), la crise française et ses répercussions les frappent de plein fouet. Ils sont aptes à mieux juger de leur devenir et de ceux de leurs enfants. Quant aux binationaux qui ont choisi de s'investir dans des responsabilités au sein de leur pays, afin d'aider à son redressement, ils doivent en premier lieu se mettre en congé de leur seconde nationalité. C'est un problème de moralisation de la vie publique. Il y va de la crédibilité et de la confiance des citoyens en leur politique. Enfin, et il faut le rappeler à ceux qui semblent l'ignorer et qui poussent à voguer vers d'autres cieux : même si la crise économique mondiale a fait ressentir ses effets sur les échanges commerciaux qui, partout, ont baissé, la France demeure notre premier fournisseur et notre premier client. Il faut encore avoir présent à l'esprit le soutien sans faille de la droite au fuyard et à ses acolytes. Les allées et venues de ses dirigeants dans des séminaires organisés, voire leurs vacances en toute quiétude, étaient à grands frais supportés par le contribuable tunisien. Ce sont ces raisons parmi d'autres qui nous poussent à suivre de près et à nous interroger sur ces élections. Quelle que soit leur issue finale, notre pays et son devenir y sont étroitement liés. Notre souhait est que les socialistes arrivés au pouvoir accentuent leur aide pour notre pays, remettent en cause les décisions prises sur l'émigration, tiennent leur promesse quant à la participation active à la vie des cités et balayent toute la panoplie de mesures restrictives imaginées par la droite. Il est de notre devoir d'être vigilant, de peser avec discernement les conséquences et de nous prononcer en fonction des intérêts de notre pays. Les gouvernants provisoires ont la responsabilité de cette conduite et ils doivent en rendre compte aux prochaines élections, dont tout le monde souhaite la tenue à la date proclamée du 20 mars 2013. Notre pays est malade et le remède adéquat n'est pas encore administré. Chaque jour a ses nouvelles peines : des pratiques de baisemain relevant d'un autre âge, des traitements peu enviables pour les employés du Palais, des étrangers qui débarquent sans réciprocité, une sanction d'une agence de notation (voir La Presse du 2/8/2011), des actions non encore engagées contre les maux de la société : l'emploi, la hausse vertigineuse des prix... De même, on assiste plutôt à un acharnement sans raison de la part de nos gouvernants contre les journalistes, une volonté d'embrigadement et de mise sous tutelle; des nominations d'illustres inconnus sans références à des postes clés; des confusions dans les responsabilités à la tête de l'Etat ; des déclarations et leurs contraires, des batailles de drapeau pour le 1er mai alors qu'un seul nous réunit... Bref, c'est à se demander si notre avion a un pilote ? Une débandade programmée due à l'incompétence de certains et souvent expliquée par leur inexpérience. Le jeu n'est plus à somme nulle. Par-delà les divergences, un appel à la raison et à l'unité Au lieu des courses folles, engagées en coulisse, pour éliminer, en premier lieu, les plus concurrentiels ou encore ouvrir des boulevards pour les mieux implantés, les plus conservateurs, les plus fortunés et les plus riches, il aurait fallu oublier les haines et l'amalgame ; assumer sa responsabilité sans chercher des comploteurs partout ; permettre les choix les plus judicieux et les plus appropriés pour la conduite des affaires ; sortir le pays de la crise et le relancer sur la voie du progrès. Nul ne peut confisquer la révolution de nous tous. Nul n'est également au-dessus de tout soupçon. L'histoire observe et les traces de chacun sont identifiables. Il faut, à notre humble avis, ne pas perdre le sens de la mesure, ni sombrer dans l'autosuffisance. Se consacrer à glorifier notre révolution par des actes : tel est le message envoyé par le peuple aux gouvernants. Cette révolution, fer de lance de toutes celles parues dans le monde arabe, a été nommée à juste titre «Printemps arabe» : allusion à la session du réveil de la nature où les plantes se mettent à fleurir. Au lieu de se lancer dans l'euphorie où chacun y va de sa musique, ce qui a engendré la floraison d'un nombre considérable de partis sans programme et sans imagination, il fallait engager des solutions de rigueur plausibles, capables de réduire le chômage, l'inflation... Bref, les paramètres fondamentaux de la vie quotidienne du Tunisien. Les questions essentielles restent sans réponses. Au lieu des bonnes intentions, l'heure est à la recherche du rassemblement consensuel le plus large pour prendre des résolutions parfois difficiles, mais nécessaires pour tracer la voie de l'avenir. Nous avons essayé de lancer des pistes de réflexion. Aujourd'hui, considérant que notre pays est en danger, notre devoir à tous est de porter à l'opinion les réussites des expériences des autres. Elles devraient nous aider à progresser et à nous reconstruire. Tout en laissant à l'histoire le jugement, et à la justice sereine le soin de faire son travail en toute objectivité, il est temps que l'économique prenne le pas sur le politique. A ce dernier la latitude de prôner la réconciliation et le pardon, s'il les juge souhaitable. L'origine de notre évolution a été en priorité économique. Nul doute que notre Etat moderne doit être renforcé et que notre sécurité doit être assurée. Des générations ont sacrifié leur jeunesse pour construire le pays, le rendre respectable et maître de son destin. Son histoire millénaire est notre source d'inspiration intarissable. Il faut l'assumer avec fierté et sérénité, en prêchant l'unité dans les moments difficiles. Le succès comme l'échec est l'affaire de nous tous !