Dix ans et frais comme un gardon, le Printemps des arts de La Marsa change de mains et de nom, faisant le bonheur des nouveaux venus, provoquant l'ire des exclus; désormais, on dira Printemps des arts Fair de Tunis, inaugurant une page « Fair » pour être au diapason des foires internationales. A notre avis, on a vite fait d'enterrer l'ancienne formule qui, en dépit de ses défauts, ses aspects spontanés et désordonnés, brillait par son côté découverte de jeunes talents; comme il n'y a jamais assez d'art, elle devrait trouver une place aux côtés des nouveaux arrivants. Nouvelle équipe, bonnes dispositions, organisateurs enthousiastes et une jeune commissaire. Retards habituels, panique passagère, dernières retouches, coups de chaux aux murs, aménagement des salles, contents et mécontents et tout finit par s'arranger. Nouvelle formule, premier couac. Un artiste vivant à Paris, assez connu, la cote en hausse, ses œuvres sont exposées à l'Institut du monde arabe, il a eu droit à un article laudatif sur le catalogue de l'IMA et un filet élogieux dans la revue Beaux-Arts Magazine, est invité à participer à l'événement printanier. Content et convaincu du projet, Mourad Salem a payé les frais de son voyage et du transport de son œuvre. La direction lui apprend que celle-ci n'a pas sa place au Palais El Abdellia, son tableau est relégué dans une galerie moins prestigieuse, refus et palabres. Un galeriste ami le prend sous son aile, deuxième refus, la toile semble poser problème aux organisateurs, l'argument est bancal: elle n'est pas à la hauteur de l'événement. Une galeriste averti récupère l'œuvre, l'expose dans son carré au Palais El Abdellia, l'affaire est bénigne, l'incident clos. Samedi dernier, agitation dans le bocage, une ou deux œuvres, jugées attentatoires aux mœurs, sont retirées. Grand bruit dans le Landernau, des artistes s'indignent, des galeristes sont offusqués, par devoir de solidarité, des musiciens annulent leur spectacles, des journalistes sont contactés, on crie à la censure, le bruit gonfle à la vitesse de la rumeur, les regards se tournent vers le ministère, la mairie ou les deux à la fois qui, renseignements pris, sont en dehors du coup, même pas au courant. On cherche les coupables. Le fantôme de la censure réapparaît, aiguillonné par une alerte des salafistes, qui, une semaine plus tôt, ont manifesté devant la mairie de La Marsa, accusée dans un tract d'encourager des artistes dégénérés, dans leur logique d'exclusion, c'est une manifestation sans morale dans un lieu de turpitudes. A leurs yeux, aveuglés par le fanatisme et l'enfermement, les œuvres sont licencieuses, stupre et luxure triomphent à Al Abdellia, la chair y brûle, c'est Gomorrhe qu'il faudrait détruire. En matière d'art, on n'est pas loin des théories nazis. Dans l'après-midi du samedi, à Al Abdellia, des bretteurs appellent à une action, on caresse l'idée de boycott. Réticence des uns, clairvoyance des autres, une réunion tenue hier, dimanche, a réconcilé les protagonistes. «Il y a eu un malentendu, suivi d'un désaccord. Crier à la censure est une aberration ; les œuvres décrochées sont réinstallées dans les galeries», nous apprend Luca Lucatini, directeur, présumé coupable. Tout rentre dans l'ordre, la famille se retrouve, apparemment en bonne entente. Le printemps continue.