Par Zouheir El KADHI * La théorie de la croissance économique en général et de la croissance endogène en particulier souligne l'importance essentielle dans l'enclenchement du processus de développement économique et le maintien d'un niveau élevé de croissance de ce qu'on appelle le «capital humain». Il s'agit au fond d'une idée assez simple : pour qu'un pays connaisse un développement rapide, faut-il encore que sa population soit bien éduquée et en bonne santé. Pour s'en convaincre, il suffit d'observer le rattrapage économique extrêmement rapide des pays asiatiques. Cette notion de «capital humain» recouvre une grande variété d'éléments, à la fois des «savoirs», des « savoir-faire» et des «savoir-être». «Le capital humain peut se définir de diverses manières. L'Ocde le définit comme «les connaissances, qualifications, compétences et autres qualités possédées par un individu et intéressant l'activité économique». Les données statistiques relatives à l'économie tunisienne affichent un paradoxe inquiétant. Malgré le grand nombre des diplômés du supérieur et une population en grande partie éduquée, la Tunisie n'a pas réussi à enclencher un processus de rattrapage rapide. Pire encore, le taux de chômage des diplômés est de loin plus élevé que la moyenne nationale. Autrement dit, plus vous êtes diplômé, moins vous aurez de chance de trouver un emploi (graphique ci-dessous). L'université tunisienne est-elle en train de produire des chômeurs potentiels en cherchant à multiplier le nombre des diplômés sans se soucier de la qualité ? Assistons-nous à une inflation des diplômes (au sens de l'inflation des prix, comme signe de dysfonctionnement) ? Ou bien est-ce un problème au niveau du système productif qui n'affiche qu'un faible besoin de diplômés ? Une lecture plus profonde de la structure économique de la Tunisie laisse apparaître des signes de faiblesse et des anomalies tant du côté de l'offre que de celui de la demande de travail. Du côté de la demande, le manque d'investissement dans des secteurs à fort contenu technologique et à haute valeur ajoutée fait que le besoin en main-d'œuvre hautement qualifiée n'est nullement exprimé. Il ne s'agit cependant pas d'accuser les entreprises de tous les maux dans le domaine de l'emploi mais seulement de souligner que le taux de chômage effectif ne résulte pas d'un équilibre sur lequel nous n'aurions aucune prise. L'équilibre en question résulte de la politique économique et des comportements des firmes autant que de l'attitude des demandeurs d'emploi. Du côté de l'offre, des anomalies demeurent persistantes. En effet, notre université a souvent cherché à multiplier le nombre de diplômés sans se soucier de la qualité des diplômes. Cette dite qualité dépend largement des universitaires dont le parcours d'un certain nombre peut paraître parfois douteux. Il n'est pas improbable que l'enseignement soit entré dans un cercle vicieux où, partiellement, la médiocrité produit de la médiocrité. A l'évidence, une formation de meilleure qualité peut améliorer le secteur productif susceptible d'engager les diplômés. Aujourd'hui, la situation actuelle du chômage en général et celui des diplômés en particulier fait qu'un antibiotique ne suffirait pas pour guérir le malade dans la mesure où le mal est profond et nécessite un traitement plus long. Aujourd'hui, la conception du « capital humain » a beaucoup évolué. Elle n'est plus définie et évaluée par rapport à des connaissances acquises et à des savoirs précis mais elle englobe aussi les caractéristiques individuelles et, au-delà de ce que l'on a déjà appris, la capacité à apprendre. L'une des tendances actuelles consiste donc à dissocier de plus en plus connaissance et compétence. On considère aussi de plus en plus que l'acquisition des connaissances et des qualifications n'est pas seulement le fait de la formation initiale mais qu'elle se déroule tout au long de la vie. Dans ce contexte, deux économistes, Lundvall et Johnson, ont ainsi proposé d'analyser le savoir en quatre catégories qui se complètent mais ne se recouvrent pas : 1. Le savoir «quoi» qui désigne la connaissance des «faits»; 2. Le savoir «pourquoi» qui recouvre la connaissance des principes et des lois auxquels obéissent la nature, l'intelligence humaine et la société ; 3. Le savoir «comment» qui exprime l'aptitude à effectuer des tâches; 4. Le savoir «qui», qui désigne l'aptitude à coopérer et à communiquer avec différents types de personnes et de spécialistes. Ces visions nouvelles posent de nouvelles questions aux politiques de formation.