Par Foued ALLANI De débats stériles en propositions saugrenues. Chacun y va à sa manière côté contenu de la nouvelle Constitution en chantier. Sans verser dans le ridicule, certaines suggestions semblent pourtant réductrices, pour ne pas dire insensées ou bien renfermant une bonne dose d'aberration. A ce rythme-là, la date butoir pour la remise de la première version du projet de la loi fondamentale fixée au 15 juillet prochain pourrait ne plus être respectée, ni même celle du 23 octobre choisie pour l'adoption du texte. Après avoir dépassé la polémique sur la nécessité ou non de se référer à la charia dans tout effort législatif et de mentionner cela dans la future Constitution, nous voilà devant d'autres propositions qui n'avancent en rien, pour ne pas dire inutiles. Telles que la nécessité de mentionner que le malékisme est le rite officiel du pays ou de réserver des sièges représentatifs aux Tunisiens de confession juive ou chrétienne. Nous avons déjà attiré l'attention sur les aberrations que contient l'article n°1 de la Constitution de 1959 abrogée par la révolution et que les constituants comptent reprendre pour le nouveau texte (voir La Presse du 31 mars 2012). Même chose concernant les aberrations de l'article 38 du texte abrogé, prévu lui aussi pour figurer dans le projet de la nouvelle Constitution et stipulant que le président de la République doit être musulman. Nous avons alors expliqué qu'un Etat, en tant qu'institution, ne peut pas avoir de religion et qu'il doit préserver son caractère civil sinon il prendra inévitablement un caractère théocratique. Nous avons signalé aussi qu'inscrire cela dans un article de la Constitution impliquera automatiquement que les Tunisiens non musulmans sont hors la loi. Idem pour la religion du président comme condition constitutionnelle et le caractère quasi-inquisitoire pour prouver cet état qui, en réalité, fait partie de la libre conscience. Il y a là, avons-nous dit, un risque flagrant à pousser les gens à devenir hypocrites. Voilà maintenant que des voix s'élèvent pour inscrire le malékisme dans la Constitution. Même si les craintes de voir ce rite dominant reculer devant le salafisme hanbalite sont justifiées, il est totalement improductif de vouloir protéger ce choix, qui entre dans le cadre des libertés individuelles par un texte. Notre pays ayant adopté aussi le hanéfisme (avant même le malékisme) et il existe aussi chez nous depuis des siècles une minorité kharéjite de rite ibadhite, bien intégrée dans notre société. Quant à la proposition de réserver des sièges aux Tunisiens juifs et pour ceux de confession chrétienne, elle est tout simplement une régression inquiétante, une porte ouverte à la compartimentation de la société, un coup fatal pour la citoyenneté. Un Tunisien, qu'il soit de souche ou d'adoption, de sang ou de territoire, est et restera Tunisien quelles que soient ses convictions religieuses, politiques et autres (exception faite bien sûr des convictions qui renient ce lien). C'est sur cette base-là qu'il devient électeur et aussi candidat éligible. Imaginez les ségrégations qui pourraient découler de cette proposition si elle était adoptée. Nous serons alors obligés de mentionner la religion, qui est une affaire strictement personnelle et intime, sur des documents officiels tels que la carte d'identité nationale, comme c'est le cas en Egypte. Alors que dans d'autres pays comme le Liban, les citoyens veulent en finir avec le système des quotas confessionnels, voilà que chez nous, nous ne nous contentons pas de réveiller les démons, nous allons jusqu'à les inventer.