• J'ai projeté d'aller interroger Ben Ali en Arabie Saoudite. Le gouvernement n'a pas accédé à ma demande «J'ai essayé d'effectuer une visite en Arabie Saoudite afin d'interroger le président déchu. Malheureusement, les responsables au plus haut niveau de l'Etat n'ont pas accédé à ma demande. Je suis convaincu que plusieurs hauts responsables interrogés par la commission ont caché sciemment beaucoup de vérités qui finiront par être dévoilées un jour ou l'autre. Nous avons posé nos questions à Mohamed Ghannouchi qui a répondu à toutes nos interrogations. Rachid Ammar a passé près de quatre heures à nous fournir les précisions et les données relatives à tout ce qui s'est passé le 14 janvier 2011». Telles sont les plus importantes révélations faites, hier, par Me Taoufik Bouderbala, président de la Commission d'investigation sur les dépassements et les violations commises du 17 décembre 2010 au 14 janvier 2011. Invité par la commission de la justice transitionnelle relevant de l'Ordre national des avocats, Me Bouderbala a livré, pendant près de deux heures, aux présents parmi les avocats et les journalistes, l'essentiel du contenu du rapport qui a couronné, près d'une année et demie, des investigations, des recherches, des rencontres et des séances d'écoute effectuées par les 12 membres de la commission. Le président de la commission a commencé par poser la question que tout le monde évoque : «Le rapport de la commission a-t-il constitué le début de dévoilement de la vérité ou plutôt un acte officiel d'étouffement de cette même vérité ?» «La justice transitionnelle n'a pas de modèle à suivre ou à appliquer dans le monde», poursuit encore Me Bouderbala, qui considère que la justice transitionnelle se fonde sur trois étapes : le dévoilement de la réalité, la reconnaissance des victimes, la réparation des préjudices, le jugement des coupables et la réconciliation au cas où les victimes en expriment le désir. «Les commissions d'investigation et d'établissement des dépassements ne constituent pas une hérésie juridique, historique ou juridique. Beaucoup de pays les ont expérimentées depuis les années 70 du siècle précédent et les peuples concernés ont accepté leurs conclusions et ce sont ces mêmes commissions qui ont contribué à la création de la Cour pénale internationale». 56 responsables sécuritaires interrogés Et Me Bouderbala de passer en revue l'ensemble des actions menées par la commission d'investigation en précisant : «Nous avons visité les familles des martyrs dans tous les gouvernorats. Nous avons interrogé tous les blessés de la révolution dans les hôpitaux et nous avons enregistré leurs témoignages. Nous avons auditionné également 56 parmi les responsables sécuritaires qu'ils soient arrêtés ou en état de liberté. Nous avons visité les hôpitaux, nous avons pris possession des rapports d'autopsie et nous avons contribué à ce que les dépouilles de certaines victimes soient exhumées afin qu'elles subissent les autopsies légales. Nous avons collectionné 2.850 dossiers dont 427 ont été abandonnés puisque concernant des affaires de pillage et de destruction de biens publics ou privés. Notre commission a traité 2.085 dossiers de blessés, et 338 dossiers de martyrs, dont 86 sont morts dans les prisons». 400 dossiers déférés au ministère des Droits de l'Homme Le rapport dressé par la commission a-t-il comporté tous les blessés de la révolution ? A cette question, Me Bouderbala précise : «Les chiffres contenus dans notre rapport sont les seuls déterminants quant au nombre des blessés ayant droit aux compensations. Aujourd'hui, ils sont des milliers à demander à être indemnisées en tant que blessés de la révolution. Seulement, nous ne pouvons pas prouver qu'ils ont participé à la révolution. Toutefois, notre commissions n'a pas hésité à refuser 41 dossiers de blessés que nous estimons n'ayant aucun rapport avec la révolution. Après le 23 octobre, date à laquelle nous avons arrêté nos investigations, nous avons reçu 400 dossiers de blessés que nous avons remis au ministère des Droits de l'Homme». Reste la liste définitive des martyrs de la révolution : à quelle structure revient le droit de la dresser ? Me Taoufik Bouderbala précise que c'est au haut comité des droits de l'Homme et des libertés fondamentales de déterminer cette liste en se basant sur le rapport de la commission d'investigation sur les dépassements et les violations. «Malheureusement, son président (Noureddine Hached) a démissionné et n'a pas été remplacé jusqu'ici et le comité se trouve bloqué», précise-t-il encore. Me Taoufik Bouderbala fournit, d'autre part, une autre révélation : «Tous les sécuritaires, responsables ou agents d'exécution ont été unanimes. Personne n'a donné d'ordre de tirer, personne n'a reçu d'ordre de tirer».