Par Zouheir El KADHI * Mes amis qui ne sont pas économistes me demandent souvent de leur expliquer le principe d'indépendance de la Banque Centrale. Trop de choses ont été dites et écrites à ce sujet. Mais que signifie au juste l'autonomie pour une banque centrale? Une banque centrale autonome définit librement la politique monétaire (libre fixation des objectifs d'évolution de la masse monétaire, choix des instruments d'intervention) dans un cadre général fixé par la loi. Mais il faut bien préciser qu'aucune banque centrale n'est totalement indépendante au sens où elle mènerait son action sans concertation avec son gouvernement. Cette concertation est d'autant plus nécessaire que la politique des changes demeure dans tous les cas un attribut des autorités politiques. Or, politique des changes et politique monétaire sont intimement liées. Ainsi, la Banque Centrale doit avoir comme mission d'assurer la stabilité de la monnaie, mais elle doit également soutenir la politique générale du gouvernement. Cependant, et en règle générale, l'autonomie de la Banque Centrale pose un problème en cas de relance budgétaire. En effet, dans une phase de ralentissement, la politique budgétaire doit être incitée à davantage d'activisme. Notons toutefois que discipline et activisme budgétaires sont partiellement incompatibles. En effet, l'indépendance de la Banque centrale contraint donc le gouvernement à davantage de discipline budgétaire. Elle lui interdit d'avoir recours à la «planche à billets» ou à un quelconque accès privilégié au crédit pour financer le déficit budgétaire. Elle ne permet pas non plus de dévaloriser la dette publique par l'inflation. En somme, l'autonomie ne fonctionne bien que si les désaccords entre les objectifs du gouvernement et ceux de la banque demeurent limités. Par ailleurs, et pour éviter tout dérapage budgétaire, l'indépendance de la Banque centrale devrait être gravée dans le marbre de la nouvelle Constitution, tout en spécifiant également que les objectifs de la BCT ne sont pas limités à la stabilité des prix, mais aussi au soutien à la croissance et à l'emploi. En effet, depuis quelque temps déjà, un consensus s'est établi parmi les spécialistes sur les fondamentaux de la politique monétaire. Selon ce consensus, les banques centrales doivent être indépendantes mais avec des objectifs clairement définis et doivent rendre compte de leurs résultats. De plus, c'est aux banques centrales que revient la responsabilité de contrôler et protéger la stabilité du système financier. En tout état de cause, la BCT doit avoir une conception suffisamment large de sa mission au service du peuple tunisien. Malgré toutes les critiques adressées à la BCT, plutôt à son gouverneur, il faut bien reconnaître qu'elle a bien joué jusque-là le jeu de la relance. En effet, et depuis le 14 janvier 2O11, la BCT ne s'est pas résignée à mettre au service de l'économie une politique monétaire laxiste. Elle a même poussé la politique monétaire jusqu'à la limite du possible. Aujourd'hui, les taux d'intérêt réel sont en territoire négatif et proche de la trappe de liquidité. Sachant que l'inflation enfle depuis des mois, la BCT ne pourrait se permettre d'aller encore plus loin. Dans ce contexte, et afin de juger du degré d'assouplissement monétaire, nous avons tenté de calculer un Indice des Conditions Monétaires (ICM). Il permet d'évaluer le degré d'assouplissement ou de durcissement des conditions monétaires, qui, de par sa construction, doit permettre de mesurer la contribution des orientations des conditions monétaires au cycle. Il fournit, en effet, une mesure de l'assouplissement ou du resserrement des conditions monétaires. La politique monétaire n'a jamais été aussi laxiste depuis 1995. Depuis le début de 2011, l'ICM a pris une trajectoire ascendante très marquée reflétant une politique monétaire très accommodante. Aujourd'hui, et malgré les tensions inflationnistes, la BCT n'est pas encore entrée dans un cycle de durcissement monétaire et privilégie soutenir l'économie par une politique monétaire expansionniste. En effet, dans un environnement inflationniste, une politique monétaire expansionniste devient risquée dans la mesure où inflation et croissance pouvant s'accorder de manières différentes et complexes, et il sera très difficile de concilier ces impératifs contradictoires. Dans un contexte agité et instable, la tâche est loin d'être facile. Il s'agit de trouver le bon dosage pour donner le coup de pouce nécessaire à l'économie tout en évitant une flambé des prix. L'économie tunisienne a, certes, besoin d'une relance budgétaire et monétaire. Cependant, ces mesures doivent être conduites avec beaucoup de prudence dans la mesure où l'erreur risque de coûter très cher en croissance et en emplois.