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Les problèmes de la Tunisie sont ailleurs
L'insoutenable apparition des salafistes
Publié dans La Presse de Tunisie le 27 - 06 - 2012


Par Noura BORSALI*
L'étendue grandissante du mouvement dit salafiste et son activisme croissant sont une donnée nouvelle dans la Tunisie du XXIe siècle. Pourtant, voilà plus de deux siècles et plus précisément en 1803, la Tunisie, par la voix de son bey et de ses oulémas, a rejeté la lettre provenant d'Arabie saoudite recommandant l'adhésion de notre pays au wahhabisme qualifié par nos oulémas comme dangereux et obscurantiste (voir à ce sujet Ibn abi Dhiaf). Appartenant à ce qu'on appelle «l'Islam radical», la mouvance salafiste fait valoir une autre vision des rapports entre Islam, individu, société et pouvoir politique et réussit à «définir de manière presque exclusive les termes du débat dans l'espace culturel» de la société tunisienne.
La question, qui revient comme un leitmotiv dans l'esprit des Tunisiens, porte sur les forces qui ont un lien avec les salafistes et qui seraient derrière leur apparition soudaine et brutale. Les interrogations qui se répètent souvent sont les suivantes : les salafistes sont-ils le bras droit de Ennahdha? N'occupent-ils pas un terrain qui appartient à ce parti ? Ne sont-ils pas destinés à jouer un rôle dans la stratégie du pouvoir actuel, à savoir «moraliser» la société et «l'islamiser» par le bas en usant de violence et en semant la peur ? Sont-ils tout simplement la future milice du parti nahdhaoui ? Leur radicalisme ne sert-il pas politiquement Ennahdha en ce sens qu'il la montre plutôt modérée et ouverte ? Et ne défend-il pas ses vraies positions non avouées par calcul politique, comme l'application de la charia, la remise en cause de l'adoption et de la monogamie... (entre autres objectifs du seul parti salafiste «Jabhet Al-Islah», Le Front de la réforme, autorisé jusqu'à ce jour et qui est —somme toute et quoi qu'on dise— proche du parti nahdhaoui)? Ennahdha, en le laissant faire en toute impunité, ne se sert-elle pas du courant salafiste pour sa stratégie de prise de pouvoir et ses futurs enjeux électoraux ? Et ne met-elle pas, à la fois, en œuvre la stratégie américaine, celle d'associer ces groupuscules —hier taxés de «terrorisme»— au jeu politique et démocratique pour éliminer toutes sortes de radicalisme islamique qui menaceraient la sécurité de l'Occident ? Ou alors, les salafistes djihadistes activistes qui, rappelons-le, ont été formés par l'Arabie saoudite et la CIA afin de repousser «le péril rouge», ne sont-ils pas un trouble-fête contre aussi bien le projet nahdhaoui que le projet démocratique ? Ne sont-ils pas utilisés, d'une part, pour saborder Ennahdha et dissuader les Tunisiens de l'élire à la prochaine échéance électorale, et d'autre part, pour s'attaquer aux composantes de la société civile attachée à ses libertés individuelles et collectives ? Seraient-ils noyautés par des forces occultes dans le but de semer la confusion, d'entraver la voie de la transition démocratique et de pousser de nouveau les Tunisiens à se replier, par peur, sur eux-mêmes et à se désintéresser de la politique laissant le terrain libre aux seuls «politiciens» ?
Sinon comment expliquer que ceux parmi les salafistes— qui s'imposent aujourd'hui comme des chefs— et qui étaient considérés hier par l'ONU comme des «terroristes» pour avoir participé à des attentats et manié les armes, aient non seulement bénéficié de l'amnistie générale mais également circulent en toute impunité dans le pays après des retours triomphaux d'«exils» ou de prisons tunisiennes et européennes ? Quelles étaient les visées des gouvernements Ghannouchi, Béji Caïd Essebsi et Hamadi Jebali en les libérant sans contrepartie ou en les laissant agir en toute impunité ? Ennahdha cherche à les absorber dans sa base militante comme à en faire ses futurs alliés électoraux, à l'instar de l'expérience égyptienne et du parti salafiste Nour qui a raflé 20% des sièges du parlement égyptien... Comme elle cherche, dit-on, à privilégier les méthodes de persuasion plutôt que les méthodes répressives de triste mémoire et à les intégrer dans le jeu démocratique. Nous ne pouvons que saluer une telle démarche qui éviterait de faire de nouvelles victimes d'une répression à bannir d'une jeune démocratie en construction. Toutefois et en attendant, faut-il laisser agir en toute impunité ceux qui usent de violence et se placent au-dessus des lois? Quand des groupuscules accusent les démocrates d'impiété, qu'ils font la loi dans les quartiers populaires, qu'ils occupent en toute légalité 400 de nos mosquées, qu'ils veulent imposer par la violence leur modèle de société, qu'ils s'activent en toute illégalité, qu'ils embrigadent des jeunes de moins de 20 et de 18 ans, qu'ils s'attaquent à des citoyens et citoyennes et a fortiori à l'élite du pays (comme c'est le cas des universitaires Ikbal Gharbi, Youssef Seddik...), cela est grave, car il y va de l'autorité de l'Etat et de ses institutions, de la sécurité et de la liberté des citoyens et d'un projet de société fait de modération et de tolérance.
Autant de questions que les Tunisiens se posent sur cette soudaine étendue du mouvement salafiste dans la période post-électorale destinée, selon la plupart de nos concitoyens, à dévier le débat public des vrais problèmes et des véritables chantiers devant lesquels nous sommes. La Tunisie est aujourd'hui un pays à reconstruire sur tous les plans, un pays qui est appelé à réussir sa transition démocratique et à devenir une démocratie en cherchant à éviter toute tentation totalitaire. Comment se fait-il que le débat national qui se consacrait, durant les premiers mois après la révolution, à toutes les questions relatives à la transition démocratique, ait dévié soudainement vers un clivage croyants / non croyants, foncièrement religieux et dangereux pour l'unité et la solidarité d'une nation et qui s'est vu aggravé par l'émergence soudaine et brutale de groupuscules activistes salafistes encouragés par l'invitation de da'iya (prédicateurs) salafistes étrangers ? Si bien que les débats ont porté non plus sur la transition démocratique mais sur le mariage coutumier, le niqab, la polygamie, l'adoption, les salafistes etc.
Les vrais problèmes aujourd'hui en Tunisie se rapportent à la sécurité du pays et de sa population, aux choix économiques et à leur volet social, à la justice sociale, à la réforme de l'enseignement dont l'échec est à l'origine de cet attrait de certains de nos jeunes vers des projets totalitaires, à la réforme de la santé, à la participation et la responsabilisation des citoyens, à l'existence d'une culture libre, libératrice et créative qui protégerait le droit des artistes à une expression libre, à l'élaboration de stratégies contre toute menace qui affecte les droits individuels et la liberté des femmes et des citoyens, à la mise en place de tout un programme environnemental qui puisse préserver nos petites richesses et à l'augmentation du pouvoir d'achat des Tunisiens qui ne fut jamais aussi affecté par une augmentation incontrôlée des prix, vertigineuse et permanente... Nos véritables problèmes se situent en somme au niveau de l'instauration de l'autorité de l'Etat et de ses institutions pour que nos rues ne soient plus le spectacle de désordre et d'anarchie, au niveau de la sécurité, loin de toute tendance sécuritaire qui mette en cause la liberté individuelle des citoyens et au niveau d'un Etat de droit fort et respectueux des droits individuels de tous et intransigeant vis-à-vis de toute entorse aux lois qui réglementent la vie d'une nation. Car, comme l'écrivait Montesquieu, «la liberté politique dans un citoyen est cette tranquillité d'esprit qui provient de l'opinion que chacun a de sa sûreté, et pour qu'on ait cette liberté, il faut que le gouvernement soit tel qu'un citoyen ne puisse pas craindre un autre citoyen» (De l'esprit des lois, 1748). Propos dits voilà plus de deux siècles et qui demeurent d'une actualité brûlante. Tant il vrai que la psychologie de la peur revient au galop alors que nous pensions avoir rompu avec la crainte intériorisée. Face à tant de décrépitude et au manque d'initiative de l'Etat de contrer ces groupuscules activistes et de protéger la population contre leur violence, nos concitoyens ont créé des groupes de protection de leurs quartiers comme à Dahmani et tout récemment au Kef. Autant la lutte contre ces groupuscules qui portent atteinte à la liberté et à la tranquillité des citoyens est légitime, autant le recours à des moyens individuels ou collectifs en dehors de l'autorité de l'Etat est à ne pas encourager. La Tunisie ne doit en aucun cas devenir le spectacle de groupes qui s'affrontent ou s'entretuent, ni l'espace où l'utilisation de l'arme par la police devient légale quand bien même elle serait un dernier recours. La révolution se veut une rupture radicale avec les méthodes répressives de gestion de la cité des deux anciens régimes et voilà que le ministre de l'Intérieur réactualise la loi no 4 de l'année 1969 relative aux réunions, cérémonies, défilés, rassemblements et manifestations datant de l'ère bourguibienne (!). Sommes-nous en train de revenir aux méthodes anciennes ?
Nous demeurons convaincus que la solution réside dans la conception que nous nous faisons de la démocratie. Cette dernière se pratique actuellement, tant dans les institutions de l'Etat qu'au sein des partis politiques, de haut vers le bas et d'un «état-major» vers la base (comme on le voit dans les divers regroupements et coalitions récents) et ne sollicite pas, comme l'exige une «révolution», la participation active et effective des citoyens et des élites au débat politique et à l'élaboration d'alternatives. C'est pourquoi un débat de fond sur toutes les questions doit être mené avec une participation citoyenne effective et une sollicitation sérieuse de l'élite du pays aujourd'hui marginalisée. La démocratie ne peut qu'être vouée à l'échec s'il n'y a pas renouvellement des pratiques démocratiques et réduction d'un ego qui met —hélas— les intérêts personnels au-dessus des intérêts d'un pays qui se trouve à un tournant grave de son histoire. Le débat public —profond et serein— sur les questions qui nous préoccupent est pratiquement absent. Comme si les seules élections étaient l'unique expression d'une démocratie naissante. Nous ne cesserons jamais de répéter qu'une démocratie ne se réduit pas à ses seuls mécanismes et outils qui permettent l'accession au pouvoir. Elle est un ensemble de valeurs à faire respecter par tous, à savoir ces mêmes valeurs pour lesquelles des Tunisiens et Tunisiennes se sont sacrifiés depuis des décennies : la liberté, l'égalité entre les citoyens, la justice sociale, la citoyenneté etc... Elle n'est pas non plus le pouvoir d'une «majorité» qui exerce, au vu de ses scores électoraux, son hégémonie sur la société et sur ce qu'elle considère comme une minorité... La démocratie est, avant tout, le respect de la minorité dont les droits individuels et collectifs ne doivent, en aucun cas, être remis en cause ni piétinés au nom d'une interprétation orthodoxe de l'Islam ou d'une identité figée entravant tout mouvement vers plus de progrès et d'égalité. Toute conception qui ne prendrait pas en compte ces éléments ne pourrait que faire le lit du totalitarisme, d'un totalitarisme à venir... Ce que la plupart des Tunisiens n'accepteront pas, car la Tunisie est le pays de tous où tout un chacun doit retrouver pleinement sa liberté et sa quiétude, sans être inquiété pour sa sécurité. C'est cela le sens profond de cette démocratie que nous voulons construire ensemble, sans violence et sans exclusion.
*Enseignante et auteur des ouvrages suivants: Livre d'entretiens avec Ahmed Ben Salah, Bourguiba à l'épreuve de la démocratie, Algérie, la difficile démocratie et Tunisie, le défi égalitaire. Ecrits féministes.


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