Par Soufiane Ben FARHAT C'est désormais un secret de polichinelle. Le torchon brûle entre les chaînes TV publiques 1 et 2. Saïd Khezami, rédacteur en chef du téléjournal du 20 heures sur la Une, a osé les quatre vérités. La présidence de la République et le gouvernement, à l'en croire, exercent de constantes pressions sur le téléjournal. Objectif, leur faire de la propagande. Obéir également à leurs agendas partisans et s'enrôler dans des campagnes électorales avant terme. Il cite quatre ministères qui font de l'acharnement en bonne et due forme. Ils n'ont de cesse de vouloir faire passer leurs informations en premier dans le téléjournal. Sinon, gare au courroux des nouveaux princes. Et l'on sait les dangers encourus en cas de résistance. La démonisation en bonne et due forme, la diabolisation, les campagnes de dénigrement et d'insultes dans les réseaux sociaux. Tout le monde a encore en mémoire le siège, plus de deux mois durant, de l'enceinte de la télévision publique. Les invectives et noms d'oiseaux fusaient, des semaines durant, à l'encontre des journalistes. Ils étaient nommément cités, nommément désignés à la vindicte populacière. Certains d'entre eux ont été menacés, ainsi que leurs familles et leurs enfants. On a frôlé le pire. D'un autre côté, Saïd Khezami a fustigé la collusion de la deuxième chaîne TV publique avec le gouvernement. A l'en croire, ses responsables, fraîchement désignés par ce même gouvernement, seraient aux ordres. Les propos ont donné lieu à une passe d'armes publique entre responsables des deux chaînes. Et puis, avant-hier, on a vu des fillettes de 3 à 5 ans voilées sur la Une. Cela n'a pas manqué de scandaliser. L'enfance voilée est nécessairement une enfance outragée. L'innocence violée. Moralité de l'histoire : on fait du surplace. L'enceinte médiatique subit toujours les pressions. On s'avise d'en faire une courroie de transmission ou une caisse de résonance. On n'est pas sorti de l'auberge de l'instrumentalisation à des fins politiciennes. Aujourd'hui, tout le processus de légitimation est en branle sous nos cieux. Le nouveau pouvoir, lui-même à la recherche de repères fondateurs, est aux prises avec une vieille société bien structurée. Ses ressorts cognitifs et spirituels ont été élaborés au fil des siècles. Ils fondent la personnalité tunisienne. Une donne essentielle reconnue par les plus éminents spécialistes. Les médias sont sollicités dans la crispation. La tentative de leur accaparement par les nouveaux gouvernants est on ne peut plus manifeste. Cela varie entre les velléités de mise au pas et l'essai d'institution de nouvelles normes érigées abusivement en valeurs. Les pressions subies par le téléjournal et les images des fillettes voilées en constituent une parfaite illustration. La bataille pour le contrôle des médias bat son plein. Elle est multiforme. Et en dit long sur les dangers encourus par la révolution tunisienne. Le fin mot de cette révolution, la liberté, fait l'objet de sérieuses menaces. Parce que la remise en cause de la liberté de presse hypothèque toutes les libertés publiques, individuelles et collectives, celle-là étant le portail de l'exercice effectif de celles-ci. Le problème en Tunisie, c'est l'absence d'une conscience publique claire des vrais enjeux. Le niveau culturel ambiant y est pour beaucoup. Alors certains jouent sur le brouillage immanent à ce registre et en rajoutent au cafouillage. Le pays supportera-t-il davantage de pressions et de coups fourrés ? L'exaspération de certaines couches sociales est de mise. Et cela augure de télescopages dont on pourrait faire l'économie. Des charges politiciennes visent la limitation des libertés et le moulage des consciences dans des normes préétablies qui se caractérisent par le prosélytisme ou la bigoterie. Elles font peur. Et en disent long sur les horizons promis par le nouvel establishment et son cortège de laudateurs et zélateurs.