Nous avons recueilli les réactions et autres déclarations d'un certain nombre de figures présentes. Si certains présents seront tout juste protocolaires, quelques-uns ont manifesté des inquiétudes et émis de grands espoirs. Témoignages. Rached Ghannouchi, président du mouvement Ennahdha : «N'ayez aucune crainte» Qu'avez-vous à dire à nos lecteurs francophones et à une partie de la population tunisienne auxquels vous ne vous êtes jamais adressé ? Je leur présente mes félicitations pour la fête de la République, mes félicitations pour Ramadan et pour l'accomplissement de la Révolution. Nous avions une République protocolaire et superficielle. Nous vivons actuellement dans une véritable République où le peuple gouverne à travers des élections libres et démocratiques. Nous sommes au cœur d'une assemblée tunisienne élue par le peuple, avec un gouvernement et des médias libres, quoiqu'on en dise. Ce qui s'est passé avant-hier dans cette enceinte pour élire le gouverneur de la Banque centrale en est un signe, il y a eu un débat très fort et des élections avec une légère différence de voix alors que nous avons été habitués à 99,99% des voix. Nous sommes dans une véritable République mettant en œuvre une vraie démocratie. Je leur dis : n'ayez aucune crainte, le pays est entre de bonnes mains. Ahlem Belhaj, présidente de l'Association tunisienne des femmes démocrates (Atfd) : «La nouvelle Constitution doit être en avancepar rapport à celle de 1959 et non l'inverse» Que dites-vous à la femme tunisienne en cette fête de la République ? L'Association des femmes démocrates a publié un livre dont l'intitulé est «Cinquante ans de République, quels sont les acquis des femmes ?». C'était avant la Révolution. Aujourd'hui, on se pose les mêmes questions. Quelles seront la place et les droits des femmes dans la deuxième République? Il y a des signes qui nous inquiètent par rapport aux libertés. Les projets qui ont été rédigés au sein de la Constituante comportent des points qui limitent les libertés individuelles et les droits des femmes. Nous restons particulièrement vigilantes, et appelons les élus de la nation à ce que la nouvelle constitution soit en avance par rapport à celle de 1959 et non l'inverse. Nous sommes aujourd'hui ici pour célébrer la fête de la République, mais aussi pour appeler à une avancée en matière de droits des femmes, d'égalité et de non-discrimination. Les membres de l'Atfd ont été auditionnées par la commission des droits et libertés, il y a eu quelques accrochages ! Le débat était intéressant et assez productif, mais je déplore de la part de certaines élues une certaine falsification de l'histoire. On a été interpellées par rapport à des positions qu'on devait prendre et qu'on n'a pas prises, comme si on était au pouvoir alors que nous étions en lutte nous aussi. Les femmes démocrates ont derrière elles près de 20 ans de combat contre la dictature et pour les libertés des femmes. Je constate que des gens qui étaient complètement absents de la scène politique se permettent de juger l'Atfd, accusée de ne pas avoir été suffisamment combative pour défendre les droits que ces mêmes personnes n'ont pas défendus, c'est une falsification de l'histoire. Samir Dilou, ministre des Droits de l'Homme et de la Justice transitionnelle : «Les valeurs de la République nous unissent» Que dites-vous à une partie de la Tunisie qui commence à craindre pour les acquis de la République ? C'est une fête qui ne permet pas la discorde. Les valeurs de la République nous unissent et ne nous séparent pas. Les fondamentaux de la démocratie consistent à respecter les avis contraires et à accepter le choix de la majorité, ainsi sont organisées les démocraties. Pour ce qui est du vote pour la nomination du gouverneur de la Banque centrale, indépendamment du fait de savoir si ce vote a été remporté par une majorité confortable ou minime, le fait est qu'il faut le respecter. La diversité est la marque de fabrique des sociétés démocratiques et vivantes et il faut savoir gérer nos divergences et disparités tout comme nous gérerons notre concorde. Mehdi Ben Gharbia député de l'opposition (groupe démocrate) : «La démocratie n'est pas la suprématie de la majorité mais le respect des minorités» Qu'avez-vous à dire au peuple tunisien en cette fête de la République ? Je m'adresse au peuple tunisien et le félicite pour cette grande fête mais je tiens à dire que les fondamentaux de la République, c'est la démocratie, qui n'est pas la suprématie de la majorité mais le respect des minorités, et de la citoyenneté. En sept mois, nous ne l'avons pas vue et parler aujourd'hui de concorde, ce ne sont que des slogans creux. Nous ne voyons rien de concret ni de visible. L'instance des élections n'est pas encore prête. Comment allons-nous organiser des élections dans huit mois? Nous avons proposé de maintenir l'Isie le temps de créer une autre instance. Notre demande a été rejetée comme tant d'autres. Nous avons constaté, mis à part la présence de quelques-uns et de vous-même, l'absence des ténors de l'opposition, est-ce un boycott ? Mis à part les empêchements personnels de certains élus, il y a effectivement une véritable amertume à cause de ce qui s'est passé mardi avec l'élection, à quelques voix près, d'une figure de proue de l'ancien régime, par une Troïka qui ne cesse de ressasser un discours révisionniste. Si Béji, qui crée un parti politique concurrent, est selon eux un vestige du passé qu'il faut combattre et en même temps Chedly Ayari avec son passif, se retrouve nommé gouverneur de la Banque centrale avec les privilèges de ministre. Comment expliquer que le dernier «omda» RCD du plus petit village se trouve banni de l'action politique et qu'on nomme un théoricien illustre de l'ancien régime à la tête de cette institution importante. Que dire aux Tunisiens ? Sahbi Atig, président du groupe parlementaire Ennahdha : «Notre divergence ne porte pas sur la Tunisie mais sur les moyens de défendre ses intérêts» Qu'avez-vous à dire au peuple tunisien en cette fête de la République ? C'est la première fête de la République après l'installation d'un gouvernement et d'un président élus. Et c'est une occasion de conforter l'unité du peuple et toutes les forces vives dans le pays, qu'elles soient au sein du pouvoir ou dans l'opposition pour concrétiser les revendications de la Révolution. Nous sommes tous à la recherche d'une concrétisation des intérêts de la Tunisie, notre divergence ne porte pas sur la Tunisie mais sur la manière de les réaliser, c'est exactement cela le jeu démocratique. Kamel Laâbidi, ancien président de l'Instance nationale de réforme de l'information et de la communication, autodissoute : «A l'instar de la justice, la presse est indépendante ou ne l'est pas» Quelle est votre réaction après avoir écouté les discours des trois présidents ? Ce qui a été dit d'une manière générale est porteur d'espoir, mais en même temps, il y a eu un silence plat sur la liberté de la presse et la protection du droit du citoyen à bénéficier d'une information publique, indépendante et libre. Si le président de la République a fait référence à la nécessité de créer des institutions indépendantes pour organiser les élections et structurer les médias, ni dans le discours du chef du gouvernement, ni dans celui du président de l'ANC, n'a été formulée la nécessité de protéger le droit du citoyen de bénéficier d'une information libre. Comment structurer le secteur audiovisuel et consacrer l'indépendance de l'information sans une instance régulatrice pour le faire ? Nous ne pouvons pas imaginer une République et une démocratie constituée sans que la presse soit libre. C'est à l'instar de la justice : ou elle est indépendante ou elle ne l'est pas ! Habib Kheder, rapporteur général de l'ANC : «Nous pouvons réussir et échouer parfois» Que dites-vous au peuple tunisien en cette fête de la République ? Je tiens à féliciter le peuple tunisien pour la fête de la République et nous sommes en train de mettre en place les fondements de la République. Si la première République a écarté la monarchie du pouvoir, elle n'a pas réussi à instaurer la démocratie et faire respecter les libertés et les droits, et garantir l'équité pour les individus et les régions. Tout cela a été un échec cuisant pour la première République. Nous espérons aujourd'hui que cette deuxième République exprime dans le fond et la forme la volonté du peuple tunisien. Nous sommes là pour faire réussir la révolution. Nous pouvons réussir et échouer parfois. Mais nous n'agissons que dans l'intérêt du peuple. Azad Badi, député du mouvement Wafa : «Aujourd'hui, un nouveau combat s'annonce pour mettre en place l'instance de la magistrature» Votre intervention d'avant-hier au cours de la séance du vote de la nomination du nouveau gouverneur de la Banque centrale a été particulièrement virulente, avez-vous l'impression que la révolution est en train d'être confisquée ? Oui. Nous avons l'impression que la révolution est en train d'être volée et que nous avons fait des pas en arrière. Mais je tiens à dire aussi à l'occasion de cette fête de la République qu'on doit s'unir autour de la Tunisie et des revendications de la révolution en nous situant en dehors des couleurs partisanes. Chaque jour qui se lève annonce un nouveau combat mais en même temps un nouvel espoir. Aujourd'hui s'annonce une nouvelle guerre à propos de la discussion sur l'instance indépendante de la magistrature qui nous fera peut-être oublier la nomination de Chedly Ayari. Il faudra réussir à mettre en place une instance qui réponde aux attentes du peuple tunisien pour l'instauration d'une justice indépendante.