Ils n'étaient qu'une petite centaine, lundi, à la bonbonnière, à assister au récital de Hassen Dahmani. Désolation ! Hassen Dahmani fait incontestablement partie des meilleures voix tunisiennes et arabes. C'est l'avis des spécialistes d'ici et d'ailleurs. Et c'est ce qui se confirme depuis des années et à chacune de ses sorties. Timbre plein, cristallin, maîtrise des tonalités, couleurs, ornementations, sensibilité : les attributs par excellence du grand chanteur, alors pourquoi? Pourquoi ces qualités ne trouvent-elles pas leur juste écho auprès du public et de la critique? Pourquoi un artiste de ce talent et de cette pointure n'arrive-t-il toujours pas à occuper la place qui lui sied? On se perdrait en explications. Il y a sûrement une injustice artistique derrière cela. Le monde de la chanson tel qu'il se présente aujourd'hui ne tourne pas forcément dans le bon sens. Le marché prime la valeur, les publics sont conditionnés. Les médias «jouent» les audiences. Hassen Dahmani est une des victimes de ce «système». Il n'est pas le seul, mais c'est sans aucun doute le cas le plus frappant. Il y a aussi la part de responsabilité du chanteur lui-même. Un parcours mal géré ou encore des erreurs de communication. Une belle voix, un talent inné ne suffisent plus de nos jours à garantir le succès d'une carrière. Hassen Dahmani n'y a peut-être pas assez pensé. On lui a connu, à vrai dire, nombre «d'hésitations», dont un choix tardif de répertoire, dont, surtout, un incompréhensible empressement à se produire un peu partout, souvent sur des scènes «communes» qui ne sont pas vraiment de son niveau. Quand on vise les sommets, on doit s'astreindre à certaines contraintes, comme faire attention à son image publique, comme soigner son profil médiatique, comme se construire un style et une personnalité artistiques entières et dûment réfléchies. Quelque part, Hassen Dahmani a dû omettre d'en tenir compte. Il n'empêche : ses prestations demeurent en toute occasion remarquables, à défaut d'être suffisamment remarquées. Celle de lundi soir au théâtre de la ville de Tunis aura même été un total sans-faute. Tous genres, tous styles Deux parties : l'une consacrée au répertoire personnel, l'autre aux reprises des classiques où il excelle depuis ses débuts. On a toujours reproché à Hassen Dahmani de recourir aux «imitations» de Wadie Essafi, Melhem Baraket et autres grands maîtres du chant, et de négliger son répertoire personnel. Là, on a eu droit à un parfait équilibre. Huit chansons de son «cru», proposées dans un bel ordre, dont des toutes nouvelles («Charaà yennou jnina» de Adem Fathi et Lotfi Bouchnaq, «Khoudh klam ou hat klam» de H'bib Mahnouche), franchement agréables à l'écoute, renforcées par l'extraordinaire interprétation de Hassen Dahmani qui embellit décidément tout ce qu'il chante, jusqu'aux menues mélodies. On ne passera pas en revue les huit chansons, une remarque néanmoins : elles faisaient le tour des genres «charqi», «tounsi», romancés, rythmés. Ceux qui croyaient que Hassen Dahmani ne réussit que dans les «mijanas» et les mawals libanais ou syriens ont dû réviser leur «copie». Le chanteur a rendu à la nuance les diverses intonations de la chanson arabe. Il était bon dans les «touboûs» tunisiens, bon dans le «baladi masri», bon dans le pur «hijaz» oriental, bon dans le maqûam et autres «quoudouds». Bon c'est peu dire. On a savouré la force, la justesse et la finesse d'un chant tout au long d'une soirée. Et la seconde partie des reprises n'aura fait qu'ajouter au régal. Avec un «top», le chef-d'œuvre de Wadie Essafi «Ardhi am bitâssi». Somptueuse version : hauteur, profondeur, simplicité, prouesses. Hassen Dahmani au faîte de son art ! Ils n'étaient qu'une petite centaine, lundi, à la bonbonnière. Les absents, eux, ne sauront jamais vraiment ce qu'ils ont raté.