Par Soufiane BEN FARHAT Les rapports gouvernement-Ugtt sont-ils en passe de s'envenimer de nouveau ? Quelques indices portent à le croire, même si les évolutions peuvent le démentir. Jusqu'ici, ces rapports ont connu deux temps majeurs. Dès l'avènement de la Troïka, les antagonismes sont montés à la surface. Quelques responsables du CPR avaient publiquement stigmatisé la direction de la centrale ouvrière. Des jeunes partisans du CPR étaient même allés manifester contre la «bureaucratie syndicale» place M'hamed-Ali à Tunis. C'est-à-dire devant le siège même de la centrale syndicale. On en était venu aux mains, et aux coups de poing. Plus tard, la grève de certains agents municipaux avait remis le feu aux poudres. Des sièges de l'Ugtt avaient été agressés, moyennant l'amoncellement de tonnes de détritus et ordures ménagères. La direction syndicale avait désigné «des partisans et miliciens nahdhaouis» comme responsables de ces forfaits «preuves à l'appui». On avait assisté plus tard aux attaques en règle de hordes salafistes contre les locaux des unions régionales de l'Ugtt. Cette fois, craignant des réactions tragiques, le gouvernement avait sévi. Depuis, les choses ont évolué différemment. Des réunions ont été tenues entre le chef du gouvernement et les dirigeants syndicaux. Les déclarations officielles mettant en valeur l'incontournable rôle de l'Ugtt, sa vocation forcément politique et les pourparlers en vue des augmentations salariales avaient détendu l'atmosphère. La centrale syndicale a même avancé, à la mi-juin, une initiative nationale, présentée par son secrétaire général, Houssine Abbassi. Telle que présentée alors par les médias, l'initiative se résume comme suit: «La centrale proposera au gouvernement, aux partis et à toutes les composantes de la société civile une initiative visant notamment à consolider la paix civile dans le cadre d'une concertation entre toutes les forces du pays. Une conférence nationale globale favorisant l'ouverture d'un véritable dialogue qui déboucherait sur des points de convergence est prévue. Son objectif sera d'assurer le bon déroulement de la phase transitoire sur la base d'un certain nombre de principes dont l'attachement au caractère civil de l'Etat, au régime républicain et aux acquis sociaux accumulés par le peuple, le respect des droits de l'Homme et des libertés individuelles et publiques, la consécration de la citoyenneté et la rupture avec la dictature, le rejet de la violence et du terrorisme, la neutralité des lieux de culte, des administrations et des institutions éducatives et universitaires de manière à les mettre à l'abri de toute activité politique ou partisane. L'initiative considère par ailleurs l'appareil d'Etat comme seul garant de l'application de la loi et de la protection des biens publics et privés, des citoyens et du respect des droits et des libertés et l'élaboration d'un modèle de développement pour mettre fin aux inégalités sociales et aux disparités régionales. La concertation autour de ces points se fera à travers des mécanismes et des structures consensuelles». Tant le gouvernement que les partis de la Troïka considérés individuellement avaient salué cette initiative. Les observateurs ont relevé alors le sens pragmatique du gouvernement. Celui-ci a fini par commencer là où avait fini le gouvernement précédent. Entre-temps, les choses se sont renvenimées ces derniers jours à Sfax, à la faveur d'un conflit latent depuis six mois à l'hôpital universitaire Hédi- Chaker. Une grève du secteur de la santé à Sfax a même été observée mercredi, à l'initiative du comité administratif de l'Union régionale du travail en raison de la non-libération des syndicalistes de l'hôpital universitaire Hédi- Chaker. Elle a atteint un taux de participation global de 10 à 20% selon le directeur régional de la santé à Sfax, de 90% selon les grévistes. Mais hier, la liste des grévistes s'est élargie à Sfax avec l'entrée en grève des employés des services des finances, de la Steg et de la Sonede. Un ralliement en guise de soutien aux quatre syndicalistes détenus et jugés depuis la semaine dernière. Une marche a été organisée par l'Union régionale de l'Ugtt, à laquelle se sont ralliés certains citoyens. Aujourd'hui, beaucoup de regards sont rivés sur Sfax. Le secrétaire général de l'Ugtt devrait s'y rendre pour la commémoration des événements du 5 août 1947. Y entérinera-t-il l'enterrement de la hache de guerre avec le gouvernement ou se joindra-t-il au chœur des syndicalistes désireux d'en découdre avec les autorités ? Quel que soit le choix, un prix sera consenti. En interne ou à l'externe.